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Lundi 17 décembre 1849.

CAMPAGNES D’ÉGYPTE ET DE SYRIE,
MÉMOIRES DICTÉS PAR
NAPOLÉON.
(2 vol. in-8o avec Atlas. — 1847.)

Le sujet vaut la peine qu’on y revienne : dernièrement, à l’occasion de l’ouvrage de M. Thiers, j’ai osé toucher à Napoléon législateur et conquérant ; aujourd’hui, à propos de ces nouveaux Mémoires très-authentiques, publiés il y a deux ans par les fils du général Bertrand et restés, je ne sais pourquoi, inaperçus, je voudrais dire quelque chose de Napoléon écrivain et l’un des maîtres de la parole.

Toute âme forte et grande, aux moments où elle s’anime, peut se dire maîtresse de la parole, et il serait bien étrange qu’il n’en fût pas ainsi. Une pensée ferme et vive emporte nécessairement avec elle son expression. Les natures simples des gens du peuple, dans les moments de passion, le prouvent assez ; ils ont le mot juste et souvent le mot unique. Une âme forte, qui serait toujours dans l’état d’excitation où sont quelquefois les âmes simples, aurait un langage continuellement net, franc, et souvent coloré. L’éducation littéraire sert de peu pour ces sortes d’expressions toutes naturelles, et, si elle n’a pas été excellente, elle serait plutôt capable de les altérer. L’éducation littéraire de Napoléon avait été fort négligée, fort inégale. Sorti d’une île à demi sauvage, placé dans une École militaire et appli-