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du ciel et des hauteurs. Le brillant, qu’il distingue du lumineux, ne le séduit pas : « Il est bon, il est beau que les pensées rayonnent, mais il ne faut pas qu’elles étincellent. » Ce qu’il leur souhaite plutôt, c’est la splendeur, qu’il définit un éclat paisible, intime, uniformément répandu, et qui pénètre tout un ensemble.

On aurait beaucoup à tirer des chapitres de M. Joubert sur la critique et sur le style, de ses jugements sur les divers écrivains ; il y paraît neuf, hardi, vrai presque toujours. Il étonne au premier abord, il satisfait le plus souvent quand on y songe. Il a l’art de rafraîchir les préceptes usés, de les renouveler à l’usage d’une époque qui ne tient plus à la tradition qu’à demi. Par ce côté, il est un critique essentiellement moderne. Malgré toutes ses religions de l’antique et ses regrets du passé, on distingue aussitôt en lui le cachet du temps où il vit. Il ne hait pas un certain air de recherche, et y voit plutôt un malheur qu’un défaut. Il va jusqu’à croire « qu’il est permis de s’écarter de la simplicité, lorsque cela est absolument nécessaire pour l’agrément et que la simplicité seule ne serait pas belle. » S’il veut le naturel, ce n’est pas le naturel vulgaire, mais le naturel exquis. Y atteint-il toujours ? Il sent qu’il n’est pas exempt de quelque subtilité, et il s’en excuse : « Souvent on ne peut éviter de passer par le subtil pour s’élever et arriver au sublime, comme pour monter aux cieux il faut passer par les nuées. » Il s’élève souvent aux plus hautes idées, mais ce n’est jamais en suivant les grandes routes ; il a des sentiers qui échappent. Enfin, pour tout dire, il a de la singularité et de l’humeur individuelle dans ses jugements. C’est un humoriste indulgent, qui rappelle quelquefois Sterne, ou plutôt Charles Lamb. Il a une manière qui fait qu’il ne dit rien, absolument rien, comme un autre. Cela est sen-