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Adieu, s’écriait-il en finissant, adieu, cause de tant de peines, qui avez été pour moi si souvent la source de tant de biens. Adieu ! conservez-vous, ménagez-vous, et revenez quelque jour parmi nous, ne fût-ce que pour me donner un seul moment l’inexprimable plaisir de vous revoir. »

Dans les deux années qui avaient précédé (1800-1803), il s’était formé autour de Mme de Beaumont une petite réunion dont il a été parlé souvent, qui fut bien courte de durée, mais qui eut vie et action, et qui mérite de garder une place à part dans l’histoire littéraire. C’était l’heure où la société entière renaissait, et bien des salons offraient alors aux exilés et aux naufragés de la veille les jouissances si désirées de la conversation et de l’esprit. Il y avait les cercles philosophiques et littéraires de Mme Suard, de Mme d’Houdetot, celui de l’abbé Morellet (que tenait sa nièce, Mme Chéron) ; là dominaient, à proprement parler, les gens de lettres et les philosophes, continuateurs directs du dernier siècle. Il y avait les salons du monde proprement dit, d’une composition plus variée et plus diverse, le salon de Mme de La Briche, celui de Mme de Vergennes, où se distinguait sa fille, Mme de Rémusat, celui de Mme de Pastoret, de Mme de Staël quand elle était à Paris, et d’autres encore, dont chacun avait son ton dominant et sa nuance. Mais, dans un coin de la rue Neuve-du-Luxembourg, un salon bien moins en vue, bien moins éclairé, réunissait dans l’intimité quelques amis autour d’une personne d’élite. De ce côté se trouvaient alors la jeunesse, le sentiment nouveau et l’avenir. Les habitués du lieu étaient M. de Chateaubriand, même sa sœur Lucile durant tout un hiver, M. Joubert, Fontanes, M. Mole, M. Pasquier, Chênedollé, M. Gueneau de Mussy, un M. Jullien, fort instruit en littérature anglaise, Mme de Vintimille. C’était là le fonds même ; les autres, qu’on pourrait citer, ne