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exemples comme Numance, Sagonte on Jérusalem, pour retrouver des scènes pareilles. Encore l’horreur de l’événement moderne dépassait-elle l'horreur des événements anciens de toute la puissance des moyens de destruction imaginés par la science. Telles sont les tristes conséquences du choc des grands empires ! Les princes, les peuples se trompent, a dit un ancien, et des milliers de victimes succombent innocemment pour leur erreur. »

Je crois reconnaître, dans ce mot d’un ancien, le vers d’Horace :

Quidquid delirant reges, plectuntur Achivi ;


ce que La Fontaine a traduit à sa guise :

Hélas ! on voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises des grands.


Mais ceux qui ont vécu en révolution savent que ce ne sont pas seulement les rois et les grands qui se trompent. Alfieri disait après 93 : « Je connaissais les grands, et maintenant je connais les petits. » Aux fautes des princes, M. Thiers s’est donc permis d’ajouter dans sa traduction les erreurs des peuples, et cette variante d’Horace me plaît fort. Pourtant, à Saragosse, ce ne fut pas le peuple qui se trompa.

Tel est en substance ce IXe volume, qui montre ce que sera l’historien dans la seconde partie du tableau, et en quel sens de généreuse impartialité il entend remplir jusqu’au bout sa tâche. On est touché d’un sentiment de respect en voyant avec quelle fermeté d’esprit, au milieu des préoccupations politiques qui l’environnent, M. Thiers, dans la plénitude de son talent d’écrivain, ne se laisse point détourner du but, et trouve moyen de poursuivre régulièrement son œuvre.