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rencontrer avec le premier Consul ; il y était en effet. À table, elle devait être placée à côté de lui ; mais, par un malentendu qui eut lieu au moment de s’asseoir, elle se trouva placée à côté de Cambacérès, et Bonaparte dit à celui-ci en plaisantant : « Eh bien ! consul Cambacérès, toujours auprès de la plus jolie ! »

Le père de Mme Récamier, M. Bernard, était dans les postes et royaliste ; il fut compromis sous le Consulat, arrêté et mis au secret. Elle apprit cela subitement, ayant à dîner chez elle Mme Bacciochi, sœur de Bonaparte. Celle-ci promit de tout faire pour intéresser le Consul. Après le dîner, Mme Récamier sortit et voulut voir Fouché, qui refusa de la recevoir, « de peur d’être touché, disait-il, et dans une affaire d’État. » Elle courut rejoindre, au Théâtre-Français, Mme Bacciochi, qui était avec sa sœur Pauline, laquelle était tout occupée du casque de Lafon : « Mais voyez, disait-elle, comme ce casque est mal mis, comme il est de côté ! » Mme Récamier était au supplice ; Mme Bacciochi voulait rester jusqu’à la fin de la tragédie, peut-être à cause de sa sœur Pauline. Bernadotte était dans la loge ; il vit l’air altéré de Mme Récamier ; il lui offrit son bras pour la reconduire, et de voir lui-même à l’instant le Consul. C’est de ce moment que date le vif sentiment de Bernadotte pour elle ; il ne la connaissait point auparavant. Il obtint la grâce du père. Ce qui est dit dans le Mémorial de Sainte-Hélène à ce sujet, est inexact. Mme Récamier ne vit pas Bonaparte à cette occasion ; ce fut Bernadotte qui se chargea de tout.

Bernadotte l’aima donc, et fut un de ses chevaliers. Les Montmorency, rentrés alors de l’émigration, ne l’étaient pas moins. Mathieu de Montmorency, qui fut depuis un saint, Adrien (depuis duc de Laval), bien plus tard le fils d’Adrien, qui se trouvait ainsi le rival