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sur les rayons de ma bibliothèque, ce qui nous reste de quelques-unes de ces femmes ; je recueille des lambeaux de leurs correspondances inédites ou de mémoires manuscrits qui éclairent à mes yeux et marquent plus distinctement les traits de telle figure qui m’est chère. » La bibliographie, convenons-en, n’était pas accoutumée à être traitée avec une inspiration de ce genre. Charles Nodier avait su y introduire, en son temps, de la fantaisie et des manies charmantes ; mais, ici, on a l’utilité du but sous l’idéal de la passion.

M. Cousin, en ouvrant cette voie avec tant d’éclat, a mérité qu’on l’y suivît avec ardeur. Une quantité de travailleurs après lui sont à l’œuvre dans la même direction, et quelques-uns avec succès. L’ancien genre de l’Éloge académique est détrôné ; il a fait place décidément à la notice érudite, à la dissertation et à la dissection presque grammaticale de chaque auteur. Je me permettrai toutefois, en montrant cette veine et en l’appelant heureuse chez celui qui l’a trouvée, de signaler l’inconvénient qui en pourrait naître. Le danger serait, si l’on y abondait sans réserve, de trop dispenser le critique de vues et d’idées, et surtout de talent. Moyennant quelque pièce inédite qu’on produirait, on se croirait exempté d’avoir du goût. L’aperçu, cette chose légère, courrait risque d’être étouffé sous le document. C’est à faire à M. Cousin de donner du prix aux pièces inédites qu’il découvre, aux moindres reliques philosophiques et littéraires qu’il publie ; il y met des cadres d’or. Mais après lui, à côté de lui, que deviendra cette mode croissante ? Tant que le maître est là, je suis tranquille, et, tant que je le lis, je suis charmé ; mais je crains les disciples. Se pourrait-il que déjà l’ère des scholiastes eût commencé pour la France, et que nous en fussions désormais, comme œuvre capitale, à dresser notre in-