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leur conclusion ; il les faudrait surprendre comme au vol, à l’état d’épigrammes charmantes, ou les dégager soi-même des riches sinuosités où il les déploie. Cela est vrai surtout dès qu’il s’agit des vivants. Sa délicatesse redouble, au point d’alarmer presque la mienne en ce moment. Il aime alors à procéder par sous-entendus, par allusions. Dans ses excellents Rapports annuels à l’Académie, les bons juges qui savent tout saisir ne trouvent rien à désirer ; eu égard à ceux qui ne sont pas juges et au public, on voudrait plus de relief dans les jugements.

Mais pour l’ensemble et le détail de cette critique littéraire conçue au point de vue historique, et, comme telle, si neuve et si largement comprise, que de richesses ! quelle étendue ! quelle fertilité ! J’y vois quelque chose qui me rappelle cette vaste intelligence de Cicéron s’appliquant aux Lettres, qui la rappelle non-seulement pour la capacité et l’étendue, pour l’agrément de l’invention et la belle économie de la mémoire, pour ce fleuve sinueux de la parole et pour les fleurs perpétuelles du chemin, mais aussi pour de certains faibles qui ne sont pas sans grâce. Cet esprit de nette et rapide justesse, dont un mot d’éloge senti et vivement accordé serait tout un suffrage, est lui-même sensible à l’approbation des autres comme s’il n’avait pas en soi un jugement supérieur qui le tranquillise. En un temps où les hommes éminents ne pèchent point, en général, par trop de méfiance d’eux-mêmes, c’est là un trait presque touchant.

J’aurai tout à l’heure quelques mots à dire de son style, de ce style orné, élégant, ingénieux et pur, qui, à la fois, tient de la tradition et participe de quelque nouveauté ; mais j’ai auparavant à caractériser, par opposition, la manière de M. Cousin, depuis que, sans déserter la philosophie, mais en partageant toutefois son