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théologiques les mœurs et le génie des peuples… » Pour bien apprécier le génie des Ambroise et des Augustin durant ces âges extrêmes de la calamité et de l’agonie humaine, il fallait avoir fait un pas de plus, et y revenir avec la conscience qu’on n’a été soi-même étranger à rien de l’homme. C’est là le progrès à la fois moral et littéraire que je crois sentir en plus d’un passage de cette étude, devenue aujourd’hui un livre. M. Villemain n’est plus ce lecteur profane dont il a parlé. Il ne fait pas seulement briller à nos yeux les choses éloquentes, il touche avec émotion les choses profondes.

M. Villemain admire beaucoup, et nul ne sait mieux que lui varier les formes et les aspects de l’admiration, de manière à ne la rendre jamais fastidieuse ni monotone. L’art de louer, on l’a remarqué, est une des plus rares épreuves du talent littéraire, un signe bien plus sûr et plus délicat que ne le serait tout l’art de la satire, « C’est un grand signe de médiocrité, a dit Vauvenargues, de louer toujours modérément. » M. Villemain, dans cette étude des Pères et dans ce tableau de leur éloquence, les loue beaucoup ; et ce qui est le comble de l’art, il sait, au moyen de cette louange répandue sur tous, les rendre pourtant distincts les uns des autres et les laisser pour nous reconnaissables.

Dans le genre du tableau littéraire proprement dit, où il excelle, et dans le tableau qu’il a donné du xviiie siècle en particulier, je me permettrai seulement de faire une remarque, de relever un trait de caractère qu’on ne saurait omettre en parlant du critique célèbre qui a été le maître de notre âge. Le propre des critiques en général, comme l’indique assez leur nom, est de juger, et au besoin de trancher, de décider. Prenez tous les hommes considérables auxquels s’est appliqué jusqu’ici ce titre