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nous en donner le parfum. En y revenant cette fois avec un redoublement d’étude et une affection singulière, il l’a tout à fait pénétré et en a tiré d’abondantes richesses. On connaîtra désormais, après ces analyses et ces traductions vraiment admirables, les Basile, les Grégoire de Nazianze, les Chrysostome, par les caractères de leur talent et de leur parole aussi distinctement que l’on connaît Bourdaloue et Massillon. L’auteur, qui entend toute chose, mais qui d’instinct sent l’éloquence mieux encore que la poésie, a su cette fois pénétrer dans cette poésie un peu sombre et déjà voilée, qui, chez quelques-uns de ces Pères, chez Grégoire de Nazianze surtout, se montre si bien en accord avec les souffrances de l’âme et du monde. « Le beau génie de la Grèce, dit-il, semble s’obscurcir ; un nuage a voilé sa lumière ; mais c’est un des progrès moraux que le christianisme apportait au monde, un progrès de douleur sur soi et de charité pour les autres. Le cœur de l’homme à plus gagné dans ce travail que son imagination n’a perdu ; Grégoire de Nazianze en est la preuve. » L’oserai-je dire ? en lisant ce volume, il m’a semblé qu’une partie de cet éloge pouvait s’appliquer à M. Villemain lui-même. Sans perdre de ses grâces d’autrefois, son talent a gagné une teinte de mélancolie qu’il ne connaissait pas auparavant et qui le rehausse. On croit sentir dans ces pages toutes sérieuses, tout étendues, et où nulle trace d’inquiétude littéraire ne se fait jour, ce je ne sais quoi d’achevé que donne au talent la connaissance du mal caché et l’épreuve même de la douleur. Lorsque, la première fois, le brillant écrivain abordait ces portions d’étude si compliquées et parfois si sombres, il n’avait connu que les grâces de la vie, et il n’en avait recueilli que les applaudissements faciles : « Lecteur profane, disait-il, je cherchais dans ces bibliothèques