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qualité évidente durant des siècles, et, au milieu de tout ce qui s’est fait pour l’altérer, on en retrouverait encore de nombreux et d’excellents témoignages aujourd’hui.

J’irai même plus loin et je dirai que, quoi qu’on fasse, la netteté est et sera toujours de première nécessité chez une nation prompte et pressée comme la nôtre, qui a besoin d’entendre vite et qui n’a pas la patience d’écouter longtemps. Nous retrouvons ainsi des ressources dans nos inconvénients, et nous sommes ramenés à notre qualité par nos défauts mêmes.

Parmi les auteurs célèbres de notre langue, tous pourtant ne sont pas propres indifféremment à nous rendre l’impression et à nous montrer l’image de cette parfaite netteté. Il s’en rencontrerait sans doute des exemples en tout temps, même dans les âges anciens : témoin Philippe de Commynes et Montaigne. Malgré le pédantisme des fausses sciences et les restes de barbarie, la disposition et le tour particulier à l’esprit français ne laissaient pas de se faire jour, et les natures originales prenaient le dessus. Pourtant ce n’est qu’à partir d’une certaine époque plus également éclairée, que cette netteté devint habituelle et, on peut le dire, universelle chez tous les bons écrivains, et qu’elle a tout à fait passé dans l’usage. Cette époque est assez, récente, et je ne saurais la dater que de la fin du xviie siècle. Ce n’est que vers le milieu de ce siècle seulement que la prose française, qui avait fait sa classe de grammaire avec Vaugelas et sa rhétorique sous Balzac, s’émancipa tout d’un coup et devint la langue du parfait honnête homme avec Pascal. Mais ce qu’avait fait d’abord un homme de génie, ce que d’autres esprits supérieurs rompus au monde, les La Rochefoucauld, les Retz, pratiquaient également, il fallut quelque intervalle pour que tous en profitassent et que la monnaie au titre nouveau circulât.