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me mettez en goût d’interdiction, messieurs de la Commission : Eh bien, je vais vous signaler une lacune ; votre liste, si longue qu’elle soit, est incomplète : messieurs, il y manque Molière, il y manque Tartufe.

Encore un coup, messieurs, n’entrez point dans cette voie : ne sonnez point le tocsin pour si peu. On veut de nos jours que tout le monde sache lire. M. le ministre de l’instruction publique y pousse de toutes ses forces, et je l’en loue. Mais est-ce que vous croyez que vous allez tailler au peuple, ses lectures, lui mesurer ses bouchées, lui dire : Tu liras ceci et tu ne liras pas cela ? Mais une telle défense, de votre part, mettrait un attrait de plus et comme une prime à tous les livres que vous interdiriez.

Défenseurs de l’ordre social, laissez-moi, laissez quelqu’un qui a vécu longtemps en dehors de votre sphère vous le dire en toute franchise : c’est une étrange erreur, c’est une faute que de partager ainsi le monde politique ou littéraire en bons et en méchants, de ranger et d’aligner ainsi tous ses ennemis, ceux qu’on qualifie tels et qui souvent ne le sont pas ; qui réclament l’un une réforme, l’autre une autre ; qui n’attaquent pas tout indistinctement ; qui demandent souvent des choses justes au fond et légitimes, et qui seront admises dans un temps plus ou moins prochain. Prenez-y garde ! ces calomniés de la veille


    lemain, secrétaire perpétuel de l’Académie française, dans son Rapport lu en séance publique, en parlait comme il suit : « L’un (des deux ouvrages couronnés), l’Histoire de la Liberté religieuse en France et de ses fondateurs, par M. Dargaud, étude passionnée, d’une imagination vive, mais d’un esprit honnête qui veut être impartial, décrit les événements et les hommes des guerres civiles de France, au seizième siècle. Les recherches de l’auteur sont attentives ; ses jugements, intègres ; sa prédilection, ardente pour tout effort de justice et d’humanité, pour tout noble caractère, dans quelque parti qu’il se trouve. Il a par moments de justes sévérités pour Coligny, comme de justes admirations pour le premier des Guises. Ce qu’il sent avec force, il l’exprime souvent avec excès. La vérité de l’émotion ne prévient pas en lui l’effort du langage ; mais il a de l’âme et du talent ; il peint de traits énergiques, sans être assez simples, le chancelier de L’Hôpital, et il ajoute encore à l’admiration pour Henri IV. » Si quelque chose peut servir à marquer l’esprit et l’intention qui ont dicté la pétition de Saint-Étienne, c’est la proscription d’un tel livre, tout en l’honneur de la tolérance.