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tiple et prompte que tous ceux qui ont eu l’honneur de l’approcher admirent, et qui, pour tout dire d’un mot, est digne de sa race. J’aimerais à le voir quelquefois, à l’entendre établir et revendiquer ici quelques-uns des principes de la société nouvelle, dût-on l’écouter en frémissant… Mais ce n’est point de cela qu’il s’agit en ce moment ; j’aimerais, dis-je, que le Prince Napoléon fût présent, car ce serait à lui plus qu’à personne qu’il appartiendrait de venger le grand écrivain, le grand peintre, la femme cordiale et bienfaisante dont il est l’ami.

Balzac aussi figure sur la liste maudite : il y passe tout entier avec toute son œuvre. L’auteur d’Eugénie Grandet n’est pas excepté, pas plus que l’auteur de la Maré au Diable. Voilà un Rapport bien inflexible et bien draconien. Nicole un jour, écrivant au nom de Port-Royal, appela tous les romanciers et les auteurs de théâtres des empoisonneurs publics. On sait avec quelle finesse acérée Racine répondit à l’injure dans laquelle il se voyait compris. Ce n’est point au Sénat, messieurs, qu’il convient de parler comme les théologiens. Et laissez-moi vous rappeler un souvenir à propos de Balzac. J’assistais à ses funérailles ; elles étaient magnifiques, solennelles. Un des ministres de ce temps-là, — le ministre des affaires étrangères, si je ne me trompe, — s’était fait honneur d’y venir, et il tenait l’un des cordons. Ce ministre d’alors est encore ministre aujourd’hui. C’est l’homme éclairé et ami des choses de l’esprit qui préside à la justice et aux cultes : c’est M. Baroche. Si j’étais de M. le rapporteur, je proposerais de lui renvoyer la pétition pour qu’il ait à stimuler le zèle de MM. les procureurs généraux dans l’interprétation d’un certain article de loi et à les lancer à la chasse des romanciers célèbres.

Il me semble que les vices du système qu’on vous propose sortent de toutes parts. Vous mettez à l’index ministériel Lanfrey pour son Histoire des Papes : mettrez-vous donc à l’Index également tous ces sots livres imbus d’une doctrine ultramontaine que repoussait la religion de Bossuet et qu’on accepte couramment aujourd’hui, — qu’on a l’air d’accepter, — car on est devenu d’une pusillanimité étrange ? J’en prends à témoin mon savant collègue M. Bonjean, qui traite si pertinemment de ces matières.