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reconnaître en lui un socialiste éminent. Extraire ce qu’il y a de bon dans le socialisme pour le soustraire à la Révolution et pour le faire entrer dans l’ordre régulier de la société, m’a toujours paru une partie essentielle et originale de la tâche dévolue au second Empire.

Je vais réveiller des tempêtes, je passerai vite. Mais Michelet, homme vivant, mais Renan, de quel droit, vous, personnages publics, corps de l’État, fussiez-vous l’ancien Sénat dit conservateur, de quel droit venez-vous leur imprimer une tache au front ? Savez-vous que cet homme, dont le nom met hors des gonds les plus sages, est le plus distingué de sa génération ? L’Empereur, oui, messieurs, l’Empereur (car je ne me lasse pas de me couvrir de cette autorité, la plus haute comme la plus libérale de son régime), honore de son estime M. Renan, comme il honore de son amitié George Sand. (Mouvement.)

M. de Chabrier. Est-ce que l’Empereur vous a chargé de parler en son nom ?

M. Sainte-Beuve. Ah ! celle-ci, vous faites large sa part : vous la proscrivez pour toutes ses œuvres. Elle mérite en effet cette ample radiation par l’éclat et l’étendue de son talent. Mais je vous demanderais, messieurs, si nous étions ici une Académie en même temps qu’un Sénat, si nous étions un corps littéraire, ayant qualité pour examiner de près ces choses, de quel droit vous empêcheriez de lire Mlle  de la Quintinie, quand vous aurez permis de lire, même avec estampille, la Sybille de M. Octave Feuillet dont cette Mlle  de la Quintinie est la réfutation ? Si vous étiez une Académie, je vous demanderais encore si, entre tant d’œuvres qui vous effrayent, vous ne pourriez faire une exception, au moins pour ce chef-d’œuvre, la Mare au Diable, pour la Petite Fadette, pour toute une branche de romans champêtres, purs et irréprochables. Mais le Rapport frappe de haut : il n’a pas daigné entrer dans ces nuances.

Il m’est arrivé plus d’une fois, messieurs, en assistant à certaines de vos discussions, de former un regret et un vœu : ce vœu, ce serait de voir plus souvent dans cette enceinte un Prince si remarquable par les dons de l’intelligence, si riche de connaissances qu’il accroît de jour en jour, d’un esprit vraiment démocratique, doué d’éloquence, d’une capacité mul-