Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 20.djvu/93

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bons que de parfaitement vrais, ni de vrais qu’écrits par qui a vu et manié lui-même les choses qu’il écrit, ou qui les tient de gens dignes de la plus grande foi, qui les ont vues et maniées ; et de plus, il faut que celui qui écrit aime la vérité jusqu’à lui sacrifier toutes choses. De ce dernier point, j’ose m’en rendre témoignage à moi-même, et me persuader qu’aucun de tout ce qui m’a connu n’en disconviendroit. C’est même cet amour de la vérité qui a le plus nui à ma fortune ; je l’ai senti souvent, mais j’ai préféré la vérité à tout, et je n’ai pu me ployer à aucun déguisement ; je puis dire encore que je l’ai chérie jusque contre moi-même. On s’apercevra aisément des duperies où je suis tombé, et quelquefois grossières, séduit par l’amitié ou par le bien de l’État, que j’ai sans cesse préféré à toute autre considération, sans réserve, et toujours à tout intérêt personnel, comme encore [en] bien d’autres occasions que j’ai négligé d’écrire, parce qu’elles ne regardoient que moi, sans connexion d’éclaircissements ou de curiosité sur les affaires ou le cours du monde. On peut voir que je persévérai à faire donner les finances au duc de Noailles, parce que je l’en crus, bien mal à propos, le plus capable, et le plus riche et le plus revêtu d’entre les seigneurs à qui on les pût donner, dans les premiers jours même de l’éclat de la profonde scélératesse qu’il venoit de commettre à mon égard. On le voit encore dans tout ce que je fis pour sauver le duc du Maine contre mes deux plus chers et plus vifs intérêts, parce que je croyois dangereux d’attaquer lui et le parlement à la fois, et que le parlement étoit lors l’affaire la plus pressée, qui ne se pouvoit différer. Je me contente de ces deux faits, sans m’arrêter à bien d’autres qui se trouvent répandus dans ces Mémoires, à mesure qu’ils sont arrivés, lorsqu’ils ont trait à la curiosité du cours des affaires ou des choses de la cour et du monde.

Reste à toucher l’impartialité, ce point si essentiel et tenu pour si difficile, je ne crains point de le dire, impossible à qui écrit ce qu’il a vu et manié. On est charmé des gens droits