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cruelles opérations des finances et d’un perpétuel jeu de gobelets pour tirer tout l’argent, qui mettoit d’ailleurs toutes les fortunes en l’air et la confusion dans toutes les familles, outré de plus de la prodigieuse cherté où ces opérations avoient fait monter toutes choses, sans exception de pas une, tant de luxe que de première nécessité pour la vie, gémissoit depuis longtemps après une délivrance et un soulagement qu’il se figuroit aussi vainement que certainement par l’excès du besoin et l’excès du désir. Enfin, il n’est personne qui n’aime à pouvoir compter sur quelque chose, qui ne soit désolé des tours d’adresse et de passe-passe, et de tomber sans cesse, malgré toute prévoyance, dans des torquets [1] et dans d’inévitables panneaux ; de voir fondre son patrimoine ou sa fortune entre ses mains, sans trouver de protection dans son droit ni dans les lois, et de ne savoir plus comment vivre et soutenir sa famille.

Une situation si forcée et si générale, nécessairement émanée de tant de faces contradictoires successivement données aux finances, dans la fausse idée de réparer la ruine et le chaos où elles s’étoient trouvées à la mort de Louis XIV, ne pouvoit faire regretter au public celui qu’il en regardoit comme l’auteur, comme ces enfants qui se prennent en pleurant au morceau de bois qu’un imprudent leur a fait tomber en passant sur le pied, qui jettent, de colère, ce bois de toute leur force, comme la cause du mal qu’ils sentent, et qui ne font pas la moindre attention à ce passant qui en est la seule et véritable cause. C’est ce que j’avois bien prévu qui arriveroit sur l’arrangement, ou plutôt le dérangement de plus en plus des finances, et que je voulois ôter de dessus le compte de M. le duc d’Orléans par les états généraux que je lui avois proposés, qu’il avoit agréés, et dont le duc de Noailles rompit l’exécution à la mort du roi, pour son intérêt personnel, comme on l’a vu en son lieu

  1. Ce mot du style familier est synonyme de ruses, tromperies.