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grande qu’avoit été la foule. Dès que le secours fut arrivé, la Falari se sauva et gagna Paris au plus vite.

La Vrillière fut des premiers averti de l’apoplexie. Il courut aussitôt l’apprendre au roi et à l’évêque de Fréjus, puis à M. le Duc, en courtisan qui sait profiter de tous les instants critiques ; et dans la pensée que ce prince pourroit bien être premier ministre, comme il l’y avoit exhorté en l’avertissant, il se hâte de retourner chez lui et d’en dresser à tout hasard la patente sur celle de M. le duc d’Orléans. Averti de sa mort au moment même qu’elle arriva, il envoya le dire à M. le Duc, et s’en alla chez le roi où le danger imminemment certain avoit amassé les gens de la cour les plus considérables.

Fréjus, dès la première nouvelle de l’apoplexie, avoit fait l’affaire de M. le Duc avec le roi qu’il y avoit, sans doute, préparé d’avance sur l’état où on voyoit M. le duc d’Orléans, surtout depuis ce que je lui en avois dit, de sorte que M. le Duc arrivant chez le roi, au moment qu’il sut la mort, on fit entrer ce qu’il y avoit de plus distingué en petit nombre amassé à la porte du cabinet, où on remarqua le roi fort triste et les yeux rouges et mouillés. À peine fut-on entré et la porte fermée que Fréjus dit tout haut au roi que dans la grande perte qu’il faisoit de M. le duc d’Orléans, dont l’éloge ne fut que de deux mots, Sa Majesté ne pouvoit mieux faire que prier M. le Duc là présent de vouloir bien se charger du poids de toutes les affaires, et d’accepter la place de premier ministre comme l’avoit M. le duc d’Orléans. Le roi, sans dire un mot, regarda Fréjus, et consentit d’un signe de tête, et tout aussitôt M. le Duc fit son remerciement. La Vrillière, transporté d’aise de sa prompte politique, avoit en poche le serment de premier ministre copié sur celui de M. le duc d’Orléans, et proposa tout haut à Fréjus de le faire prêter sur-le-champ. Fréjus le dit au roi comme chose convenable, et à l’instant M. le Duc le prêta. Peu après M. le Duc sortit ; tout ce qui étoit dans le cabinet le suivit ; la foule