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deux premiers à Lauzun, avec le duché de Saint-Fargeau et la belle terre de Thiers en Auvergne, lorsque leur mariage fut rompu, et il falloit le faire renoncer à Eu et à Aumale, pour que Mademoiselle en pût disposer en faveur du duc du Maine. Mademoiselle ne se pouvoit résoudre à passer sous ce joug et à dépouiller Lauzun de bienfaits si considérables. Elle fut priée jusqu’à la dernière importunité, enfin menacée par les ministres, tantôt Louvois, tantôt Colbert, duquel elle étoit plus contente, parce qu’il étoit bien de tout temps avec Lauzun, et qu’il la manioit plus doucement que Louvois, son ennemi, qui étoit toujours réservé à porter les plus dures paroles, et qui s’en acquittoit encore plus durement. Elle sentoit sans cesse que le roi ne l’aimoit point, et qu’il ne lui avoit jamais pardonné le voyage d’Orléans [1], qu’elle rassura dans sa révolte, moins encore le canon de la Bastille, qu’elle fit tirer en sa présence sur les troupes du roi, et qui sauva M. le Prince et les siennes au combat du faubourg Saint-Antoine. Elle comprit donc enfin que le roi, éloigné d’elle sans retour, et qui ne consentoit à la liberté de Lauzun que par sa passion d’élever et d’enrichir ses bâtards, ne cesseroit de la persécuter jusqu’à ce qu’elle eût consenti, sans aucune espérance de rien rabattre ; [elle] y donna enfin les mains avec les plaintes et les larmes les plus amères. Mais pour la validité de la chose, on trouva qu’il falloit que Lauzun fût en liberté pour renoncer au don de Mademoiselle, tellement qu’on prit le biais qu’il avoit besoin des eaux de Bourbon, et Mme de Montespan aussi, pour qu’ils y pussent conférer ensemble sur cette affaire.

Lauzun y fut amené et gardé à Bourbon par un détachement de mousquetaires commandé par Maupertuis. Lauzun vit donc plusieurs fois Mme de Montespan chez elle à Bourbon. Mais il fut si indigné du grand dépouillement qu’elle

  1. Voy. les Mémoires de Mademoiselle, à l’année 1652. Elle entra dans Orléans par escalade le 27 mars 1652, et ferma cette ville aux troupes royales.