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le dernier fut chevalier de Lauzun qui servit fort peu dans la gendarmerie, passa en Hongrie avec MM. les princes de Conti, s’y attacha quelque temps au service de l’empereur en qualité d’officier général, s’en dégoûta bientôt, revint à Paris après un exil assez long ; manière de philosophe bizarre, solitaire, obscur, difficile à vivre, avec de l’esprit et des connoissances, souvent mal avec son frère, qui lui donnoit de quoi vivre, souvent à la sollicitation de la duchesse de Lauzun. Il mourut à Paris sans alliance, en 1707, à soixante ans.

Le duc de Lauzun étoit un petit homme, blondasse, bien fait dans sa taille, de physionomie haute, pleine d’esprit, qui imposoit, mais sans agrément dans le visage, à ce que j’ai ouï dire aux gens de son temps ; plein d’ambition, de caprices, de fantaisies, jaloux de tout, voulant toujours passer le but, jamais content de rien, sans lettres, sans aucun ornement ni agrément dans l’esprit, naturellement chagrin, solitaire, sauvage ; fort noble dans toutes ses façons, méchant et malin par nature, encore plus par jalousie et par ambition, toutefois bon ami quand il l’étoit, ce qui étoit rare, et bon parent, volontiers ennemi même des indifférents, et cruel aux défauts et à trouver et donner des ridicules, extrêmement brave et aussi dangereusement hardi. Courtisan également insolent, moqueur et bas jusqu’au valetage, et plein de recherches d’industrie, d’intrigues, de bassesse pour arriver à ses fins, avec cela dangereux aux ministres, à la cour redouté de tous, et plein de traits cruels et pleins de sel qui n’épargnoient personne. Il vint à la cour sans aucun bien, cadet de Gascogne fort jeune, débarquer de sa province sous le nom de marquis de Puyguilhem. Le maréchal de Grammont, cousin germain de son père, le retira chez lui. Il étoit lors dans la première considération à la cour, dans la confidence de la reine mère et du cardinal Mazarin, et avoit le régiment des gardes et la survivance pour le comte de Guiche son fils aîné, qui, de son côté, étoit