Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 20.djvu/25

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Dès qu’il me vit entrer dans son cabinet, il courut à moi, et me demanda avec empressement si je voulois l’abandonner. Je lui répondis que tant que son cardinal avoit vécu, je m’étois cru fort inutile auprès de lui ; et que j’en avois profité pour ma liberté et pour mon repos ; mais qu’à présent que cet obstacle à tout bien n’étoit plus, je serois toujours à son très humble service. Il me fit promettre de vivre avec lui comme auparavant, et, sans entrer en rien sur le cardinal, se mit sur les affaires présentes, domestiques et étrangères, m’expliqua où il en étoit, et me conta l’émoi que prenoient l’Angleterre et la Hollande de la nouvelle compagnie d’Ostende, que l’empereur formoit, qu’il vouloit maintenir et que ces deux puissances vouloient empêcher de s’établir par leur grand intérêt du commerce, enfin celui que la France y pouvoit trouver pour et contre, et ses vues de conduite dans cette affaire. Je le trouvai content, gai, et reprenant le travail avec plaisir. Quand nous eûmes bien causé du dehors, du dedans et du roi, dont il étoit fort content, je lui parlai de la pension que les filles du premier président lui demandoient. Il se mit à rire et à se moquer d’elles, après l’argent immense qu’il avoit si souvent prodigué à leur père, ou qu’il lui avoit su escroquer, et à se moquer de moi d’être leur avocat en chose si absurde après tout ce qu’il y avoit eu entre moi et leur père, duquel il fit fort bien et en peu de mots l’oraison funèbre. J’avouerai franchement que je n’insistai pas beaucoup pour une chose que je trouvois aussi déplacée, et dont je ne me souciois point du tout. Je vécus donc de là en avant avec M. le duc d’Orléans comme j’avois toujours fait avant que le cardinal Dubois fût premier ministre, et lui avec toute son ancienne confiance. Il faut pourtant que je convienne que je ne cherchai pas à en faire beaucoup d’usage. Il fit alors la très légère perte de La Houssaye, son chancelier, qui avoit montré son ignorance dans la place de contrôleur général des finances qu’il avoit été obligé de quitter. Il avoit soixante et un ans. M. le duc