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trouvés au salut. On mettoit pied à terre au Mail, beau, large, extrêmement long. Le roi y jouoit avec le grand et le premier écuyer, le marquis de Santa-Cruz ou quelque autre seigneur, et y jouoit toujours trois tours complets d’aller et venir, la reine toujours à son côté, et quand il le falloit [elle] changeoit de place pour être toujours à sa gauche. Ce Mail étoit extrêmement agréable par les charmes qu’elle y répandoit. Il n’y avoit que des seigneurs dans le Mail, et la dame du palais qui la suivoit ; tout le reste se tenoit des deux côtés sans y entrer. On suivoit le roi et la reine qui faisoit la conversation avec les uns et les autres, avec une aimable familiarité, et amusoit de temps en temps le roi par les plaisanteries qu’elle faisoit, dont Valouse s’embarrassoit fort ordinairement et en augmentoit la gaieté. Elle attaquoit fort aussi le duc del Arco, prenoit plaisir à le mettre aux mains avec Santa-Cruz, et faisoit en sorte qu’ils s’en disoient souvent de bonnes. Le grand écuyer ne laissoit pas de se rebecquer quelquefois contre la reine, librement, et plaisamment quelquefois. Si quelque joueur faisoit une pirouette ou quelque mauvais coup, c’étoit de rire et de lui tomber sur le corps, en sorte que ce temps du Mail paraissoit toujours trop court. Le roi, toujours grave, sourioit ; quelquefois un mot tout court et rare. Il jouoit très bien et de bonne grâce, et la reine l’admiroit fort. À la fin du dernier tour, les carrosses venoient au bout du Mail, et on s’en retournoit. De la mi-février à la mi-avril on laissoit reposer et repeupler les animaux ; il n’y avoit point de chasse, et le Mail allongé d’un peu de promenade, dans le même parc quelquefois, en remplissoit un peu le vide, presque tous les jours.

La vie de Madrid étoit de deux sortes pour les personnes sans occupation : celle des Espagnols et celle des étrangers, je dis étrangers établis en Espagne. Les Espagnols ne mangeoient point, paressoient chez eux, et avoient entre eux peu de commerce, encore moins avec les étrangers ; quelques conversations, par espèce de sociétés de cinq ou six chez