Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/95

Cette page n’a pas encore été corrigée

le ton, car ils ne parloient qu’espagnol que je n’entendois pas. Ce qui me surprit, à n’en pas croire mes yeux la première fois que je le vis, fut l’arrogance et l’effronterie jusqu’à la brutalité avec laquelle ces maîtres moines poussoient leurs coudes dans le nez de ces dames, et dans celui de la camarera-mayor comme des autres, qui, toutes à ce signal, leur faisoient une profonde révérence, baisoient humblement leurs manches, redoubloient après leurs révérences, sans que le moine branlât le moins du monde, qui rarement après leur disoit quelque mot d’un air audacieux, et sans marquer la civilité la plus légère, à quoi, lorsque cela arrivoit, ces dames répondoient le plus respectueusement du monde, à leur ton et à toute leur contenance. J’ai vu quelquefois quelque seigneur leur baiser aussi la manche, mais comme à la dérobée, d’un air honteux et pressé, mais jamais les moines la présenter à pas un d’eux. Quoique cette rare cérémonie se renouvelât toutes les fois que le roi alloit à l’Atoche, elle me surprit toujours, et je ne pus m’y accoutumer.

La tribune donnoit également en face de la chapelle de Notre-Dame et du grand autel ; le saint-sacrement étoit dans le tabernacle de l’un et de l’autre, et si alors il étoit exposé, ce qui n’arrivoit pas toujours, c’étoit à l’autel de Notre-Dame, très magnifiquement et avec une infinité de lumière. Il l’étoit fort haut ; et pour donner la bénédiction il descendoit et remontoit après par une machine cachée derrière l’autel. Cela me parut un peu machine d’opéra bien déplacée. Quand le saint-sacrement n’étoit pas exposé, il n’y avoit point de bénédiction. Les moines chantoient dans leur chœur, qu’on ne pouvoit voir, les litanies de la Vierge et d’autres prières d’un ton lent, triste et très lugubre, et cela duroit demi-heure ou trois quarts d’heure. Ce salut étoit très commode pour voir Leurs Majestés et leur faire sa cour.

De l’Atoche il étoit fort ordinaire que le roi entrât dans le pare du Retira, et il y étoit suivi par les mêmes qui s’étoient