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comme on fait ici et ailleurs. Les plaines mêmes sont si sèches, si dures, si pleines de crevasses profondes, qu’on n’aperçoit que de dessus le bord, que les meilleurs chiens courants ou lévriers seroient bientôt rendus après les lièvres, et auroient les pieds écorchés, même estropiés pour longtemps. D’ailleurs tout y est si plein d’herbes fortes que les chiens courants ne tireroient pas grand secours de leur nez. Tirer en volant, il y avoit longtemps que le roi avoit quitté cette chasse, et qu’il ne montoit, plus à cheval ; ainsi les chasses se bornoient à des battues.

Le duc del Arco, qui par sa charge de grand écuyer avoit l’intendance de toutes les chasses, choisissoit le lieu où le roi et la reine devoient aller. On y dressoit deux grandes feuillées, adossées l’une à l’autre, presque fermées, avec force espèce de fenêtres larges et ouvertes presque à hauteur d’appui. Le roi, la reine, le capitaine des gardes en quartier et le grand écuyer, et quatre chargeurs de fusils, étoient seuls dans la première, avec une vingtaine de fusils et de quoi les charger. Dans l’autre feuillée, le jour que je fus à la chasse, étoient le prince des Asturies venu dans son carrosse à part avec le duc de Popoli et le marquis del Surco, aussi dans cette feuillée le marquis de Santa-Cruz, le duc Giovenazzo, majordome-major et grand-écuyer de la reine, Valouse, deux ou trois officiers des gardes du corps et moi, force fusils, et quelques hommes pour les charger. Une seule dame du palais de jour suivoit tour à tour la reine, dans un autre carrosse, toute seule, duquel elle ne sortoit point, et y portoit pour sa consolation un livre et quelque ouvrage, car personne de la suite n’en approchoit. Leurs Majestés et cette suite faisoient le chemin à toutes jambes, avec des relais de gardes et de chevaux de carrosse, parce qu’il y avoit au moins trois ou quatre lieues à faire, qui valent au moins le double de celles de Paris à Versailles. On mettoit pied à terre aux feuillées, et aussitôt on emmenoit les carrosses, la pauvre damé du palais et tous les chevaux