Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/68

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est une des meilleures clefs de toutes les autres, et qu’elle manque toujours aux histoires, souvent aux mémoires, dont les plus intéressants et les plus instructifs le seroient bien davantage s’ils avoient moins négligé cette partie, que qui n’en connoît pas le prix, regarde comme une bagatelle indigne d’entrer dans un récit. Toutefois suis-je bien assuré qu’il n’est point de ministre d’État, de favori, de ce peu de gens qui de tous étages se trouvent initiés dans l’intérieur des souverains par le service nécessaire de leurs emplois ou de leurs charges, qui ne soit en tout de mon sentiment là-dessus.

La reine, arrivant en Espagne, ne songea qu’à remplir seule auprès du roi le vide qu’y laissoit l’expulsion qu’elle venoit de faire de la princesse des Ursins ; et le roi, impatient par tempérament d’avoir une épouse, retenu qu’il étoit par sa conscience de trouver ailleurs, lui donna là-dessus tout le jeu qu’elle pouvoit désirer ; mais accoutumé au tête-à-tête continuel, tout au plus au tiers, la reine n’eut pas à choisir. Son peu de connoissance lui fit bientôt admettre entre eux deux Albéroni, qui étoit le seul homme qu’elle connût, et qui, uni de même intérêt qu’elle par être Parmesan et ambitieux, étoit son conseil unique depuis leur départ de Parme, et le seul qu’elle pût avoir en Espagne, au moins dans les commencements. Il devint donc bientôt avec le roi et cette reine ce que Mme des Ursins avoit été avec l’autre reine, avec la différence du sexe, qui en ôta le ridicule, et qui le rendit capable du nom comme du pouvoir de premier ministre, et enfin de la dignité de cardinal. Pour arriver à ces grandes choses, il suivit le plan dont la princesse des Ursins s’étoit si bien trouvée, et dont les gens avisés qui peuvent tout sur les rois font tous, d’une façon ou d’une autre, un usage si utile pour eux, mais si détestable pour leurs maîtres et si pernicieux pour leurs États, leurs sujets, leur gouvernement. Albéroni n’eut, pour cela, rien à faire qu’à suivre le goût funeste que le roi avoit pris pour la