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certain et invulnérable étoit universellement reconnu au dedans et au dehors. Elle étoit Italienne, Albéroni l’étoit aussi ; tous deux régnèrent conjointement comme avoit fait la feue reine avec la princesse des Ursins, [et ils] avoient tous attiré des Italiens à la cour et dans le service militaire. Les besoins de ménager la nation espagnole, et la reconnoissance due à sa fidélité singulière dans les revers les plus désespérés, et les signalés services qui avoient par deux fois remis sa couronne sur la tête de Philippe V, avoient duré presque jusqu’à la mort de cette reine, qui n’avoit cessé de s’attacher les Espagnols par le solide et par le charme de ses manières, qui l’en avoit fait pour ainsi dire adorer. Après sa mort le roi, enfermé dans l’hôtel de Medina-Cœli avec la princesse des Ursins, n’y voyoit qu’elle dans tous les moments de la journée, et par-ci par-là quelques-unes des sept ou huit personnes qu’elle avoit choisies pour se relayer les unes les autres, à toute autre exception, pour accompagner le roi à la chasse et à la promenade, desquelles elle étoit parfaitement assurée. Les dangers étoient passés, elle gouvernoit seule, en plein et publiquement, sans contradiction de personne.

Le traitement d’Altesse qu’on a vu ailleurs qu’elle avoit fait donner au duc de Vendôme et à elle, avoit mis les Espagnols au désespoir contre elle, et leur haine éclatoit de toutes parts, maigre toute sa puissance. La nécessité des ménagements étoit passée avec la guerre ; elle tenoit le roi au point de ne craindre rien, pas même le feu roi qu’elle offensa, et qui la perdit. Elle rendit donc aux Espagnols haine pour haine ; mais toute-puissante de sa part. Le second mariage du roi d’Espagne fut son ouvrage ; personne en Espagne ni ailleurs n’en douta, elle en étoit même bien aise. Mais la conséquence fut que ce second mariage ne fut pas du goût des Espagnols, et pour d’autres raisons encore peu agréable à l’État, à la maison au personnel de la nouvelle reine, au point que la chute si précipitée de la princesse des Ursins par l’arrivée