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depuis obscurément et avec peu de bien, dans le conseil de Castille, où on lui avoit donné une place, comme dans un vieux sérail ; et, avec les années et l’infortune, il vivoit fort seul, fort abandonné, se présentant rarement, toujours très inutilement, au palais où il étoit fort peu accueilli. Louville m’avoit conseillé à Paris de rendre une visite à cet illustre malheureux, comme chose fort convenable au service qu’il avoit rendu à la France. Je m’en souvins au retour de Lerma, et, quoique je n’eusse pas ouï parler de lui, je l’allai voir avec plus de suite que je n’avois coutume de mener dans mes visites. Jamais homme si surpris ni si aise, et je le fus beaucoup de lui avoir fait tant de plaisir. C’étoit un petit homme mince, et sur l’âge, dont la mine n’imposoit pas, mais plein d’esprit, de sens et de mémoire, et avec qui je me serois extrêmement plu et instruit, s’il avoit parlé moins difficilement François. Il se montra avec moi fort mesuré sur sa disgrâce, à laquelle pourtant on sentoit qu’il n’étoit pas accoutumé. Ce n’étoit pas comme nos ministres renvoyés, dont les restes enrichiroient plusieurs seigneurs et les logeroient magnifiquement à la ville et à la campagne. Celui-ci, qui avoit exercé plusieurs années une charge qui comprend les quatre charges de nos secrétaires d’État [1], étoit logé plus que médiocrement, presque sans meubles, et les plus simples, avec fort peu de valets. Il revint me voir et me fit présent d’un beau livre espagnol qu’il avoit composé des voyages et des campagnes de Philippe V. Cette visite me fit honneur à Madrid, et ne déplut pas aux ministres.

  1. Les quatre secrétaires d’État de l’ancienne monarchie étaient ceux de la guerre, des affaires étrangères, de la marine et de la maison du roi. Ils se partageaient l’administration des provinces. Le ministère de l’intérieur n’a été établi qu’à l’époque de la révolution. Le chancelier avait la surveillance de l’administration de la justice, de l’imprimerie et de la librairie. Les finances dépendaient du contrôleur général, qui, depuis 1661, avait remplacé le surintendant des finances.