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pauvres et courts, l’acheva. Il me donna pourtant une fois et même deux un assez grand et bon repas.

Il s’en falloit bien que je me crusse à portée de lui parler d’adoucir et de modérer ses manières. Quelque peu d’intérêt que je prisse en lui, je ne pouvois me détacher de celui de la nation et de ce déshonneur du choix d’un pareil ministre. Je n’en parlai point non plus à son conducteur Robin, que je jugeai bien qui sentoit les mêmes choses, et qu’il ne pouvoit retenir cette étrange humeur. J’ignore quel mérite il avoit à la guerre, ni comment il ensorcela M. le prince de Conti de se piquer d’honneur d’arracher pour lui un bâton de maréchal de France. Ce que je sais, c’est, que ce fut à l’étonnement général, pour n’en pas dire davantage.

Le duc d’Ormond étoit à Madrid sur un grand pied de considération de tout le monde et des ministres. Il en étoit fort visité et tenoit une table abondante et délicate, où il y avoit toujours quelques seigneurs et beaucoup d’officiers. Il tiroit gros du roi d’Espagne. Il alloit presque tous les jours au palais où il étoit fort accueilli, et je ne l’ai point vu à portée du roi et de la reine qu’ils ne lui parlassent, et quelquefois même en s’arrêtant à lui avec un air de considération et de bonté. Il portoit publiquement la Jarretière et le nom de duc d’Ormond. Il ne se trouvoit point où on se couvroit ; mais d’ailleurs il étoit traité en tout et partout comme les grands. Il étoit petit, gros, engoncé, et toutefois de la grâce à tout, et l’air d’un fort grand seigneur, avec beaucoup de politesse et de noblesse. Il étoit fort attaché à la religion anglicane, et refusa constamment les établissements solides qui lui furent souvent offerts en Espagne pour la quitter.

Ubilla, ou le marquis de Rivas, secrétaire de la dépêche universelle sous Charles II, qui eut tant de part à son testament qu’il écrivit sous ce prince, avoit eu le sort commun à tous ceux à qui Philippe V avoit obligation de sa couronne, que la princesse des Ursins fit chasser. Il languissoit