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qu’il fit plusieurs voyages par inquiétude d’esprit, et peut-être moins pour chercher fortune que chercher à se mêler : car se mêler, négocier, intriguer, étoit son élément et sa vie.

À la fin il se fixa en Espagne, où il fut assez bien voulu de la princesse des Ursins, dont il avoit fréquenté les antichambres à Rome, à la mode du pays. Elle lui confia même plusieurs choses, et le mit tout à fait bien auprès du roi et de la reine qui lui parloient souvent familièrement, en particulier, et lui, à l’en croire, leur donnoit souvent de fort bons conseils, et à Mme des Ursins, et leur parloit fort hardiment. Cette posture, et un naturel vif, entreprenant, haut, souvent même audacieux et très libre, soutenu d’esprit et de connoissances, le faisoit ménager, mais craindre par les ministres, et le mêla fort avec le monde et avec la cour où il s’étoit fait des amis. L’arrivée d’une nouvelle reine, et la chute subite de Mme des Ursins diminua fort ses accès et sa considération. Néanmoins il se soutint, et ne laissa pas d’être encore de quelque chose sous Albéroni. C’étoit un homme qui ne s’abandonnoit point, et qui savoit toujours s’introduire par quelque coin. Il avoit toujours ménagé Grimaldo, en sorte qu’après le ministère d’Albéroni, il espéra tout de la protection de Grimaldo. Mais Grimaldo, qui le connoissoit, le traita toujours avec une distinction qui l’empêcha de s’écarter de lui, mais qui le tint toujours en panne, parce qu’en effet ce ministre craignoit son caractère, et profita de l’éloignement que la reine avoit pris de lui pour l’empêcher de se rapprocher d’elle et du roi.

C’est dans cette situation que je le trouvai en arrivant à Madrid. On me l’avoit donné pour un homme fort attaché à la France, et dont je pourrois tirer beaucoup de lumières. J’en tirai en effet, mais souvent aussi bien des visions. Il étoit ami de plusieurs personnes distinguées, le pays et le jacobisme l’avoient lié avec le duc de Liria, Hyghens, le duc d’Ormond, et plusieurs autres. Il étoit aussi ami de Sartine,