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Espagne, mais d’une ignorance à surprendre. Ce sont les PP. Daubenton et d’Aubrusselle qui me l’ont dit, et plusieurs fois, qui ne pouvoient s’accoutumer en ce qu’ils en voyoient. C’est que l’inquisition furette tout, s’alarme de tout, sévit sur tout avec la dernière attention et cruauté. Elle éteint toute instruction, tout fruit d’étude, toute liberté d’esprit, la plus religieuse même et la plus mesurée. Elle veut régner et dominer sur les esprits, elle veut régner et dominer sans mesure, encore moins sans contradiction, et sans même de plaintes, elle veut une obéissance aveugle sans oser réfléchir ni raisonner sur rien, par conséquent elle abhorre toute lumière, toute science, tout usage de son esprit ; elle ne veut que l’ignorance, et l’ignorance la plus grossière. La stupidité dans les chrétiens est sa qualité favorite, et celle qu’elle s’applique le plus soigneusement d’établir partout, comme la plus sûre voie du salut, la plus essentielle, parce qu’elle est le fondement le plus solide de son règne et de la tranquillité de sa domination.

Le chevalier Bourck étoit un gentilhomme Irlandois, qui avoit été quelque temps au cardinal de Bouillon, à Rome, et qui n’aimoit pas qu’on le sût, car il étoit pauvre, glorieux et important. Son maître qui ne pouvoit tenir dans sa peau, et qui toujours étoit plein d’un inonde de vues obliques et folles, lui reconnut de l’esprit et un esprit de manège et d’intrigue qui, en effet, étoffent le centre et la vie de Bourck, et l’employa à des messages et à de petites négociations dans Rome et au dehors. Il fut chargé d’une autre vers les princes d’Italie, que le cardinal de Bouillon avoit imaginée pour leur faire agréer une augmentation de cérémonial en faveur des cardinaux. Bourck, domestique pour son pain, parce qu’il n’en avoit pas, mais blessé de l’être, tira sur le temps, et sur la faiblesse de son maître, pour lui persuader qu’il réussiroit beaucoup mieux s’il étoit l’homme du sacré collège, dont le nom imposeroit bien plus aux princes avec qui il traiteroit, que s’il n’agissoit qu’au nom d’un cardinal particulier,