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d’esprit, de savoir, fort instruit des choses d’Espagne et de l’intérieur du palais, aimé et estimé généralement, et d’une conversation agréable, sage, discrète, mais toutefois instructive. Aubenton qui craignoit toujours pour sa place, et pour la confiance et l’autorité qu’elle lui donnoit, se sentoit vieux et connu. L’expérience qu’il avoit faite de pouvoir être congédié, le rendoit soupçonneux sur tous ceux qui lui pouvoient succéder. Il voyoit bien qu’Aubrusselle étoit le plus apparent et le plus naturel ; la bienveillance générale et la réputation qu’il avoit acquise en Espagne le blessoit ; tout lui étoit suspect de ce côté-là, à tel point qu’Aubrusselle m’en avertit, me pria d’éloigner mes visites, surtout de n’aller point chez lui les jours que j’irais voir Aubenton, et de ne trouver pas mauvais qu’il vint peu chez moi. Je m’informai d’ailleurs de cette jalousie, et par ce que j’en appris, je vis que le P. d’Aubrusselle ne m’en avoit pas tout dit. Il craignoit encore ses relations en France, et même à Rome, quelque vendu qu’il fût à cette dernière cour. En un mot, tout lui faisoit ombrage, et plus sa tête vieillissoit, moins il étoit capable de se contenir là-dessus, sans succomber à des échappées, quelque seconde nature qu’il se fût faite de la dissimulation la plus profonde et de la plus naturelle fausseté. Cela fit qu’Aubrusselle et moi eûmes moins de commerce ensemble que lui et moi n’eussions voulu.

Puisque je parle de jésuites, il faut achever ici ce qui les regarde. Je ne les trouvai pas en Espagne moins puissants qu’ils se le sont rendus partout ailleurs, pénétrant partout, imposant partout, et d’amour ou de crainte se mêlant de tout. Les dominicains autrefois si puissants en Espagne y étoient devenus de petits compagnons auprès d’eux, et dans l’inquisition même, où les jésuites s’étoient saisis de la pluralité des places, et des plus importantes. Mais quels pays que ceux d’inquisition ! Les jésuites savants partout et en tout genre de science, ce qui ne leur est pas même disputé par leurs ennemis, les jésuites, dis-je, sont ignorants en