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aimable, mais aussi la plus solide et la plus suivie quand cela étoit à propos, en fit un homme triste, pesant jusqu’à en être lourd et massif, qui ne produisoit rien, qui ne suivoit pas, qui travailloit même pour comprendre. Je m’étois fait un grand plaisir de le revoir ici ambassadeur. À son premier aspect ma surprise fut grande, et mon étonnement encore plus dès la première conversation. C’étoit une apoplexie ambulante : aussi le tua-t-elle bientôt.

Il mourut à Paris, et laissa un fils à qui son oncle fit épouser l’héritière d’une grandesse. Il étoit fort jeune et fort fou, du temps que j’étois en Espagne. Il s’est depuis appliqué au service, il y a acquis de la réputation ; il s’est soutenu après la mort de son oncle ; dont il a eu aussi la grandesse. Il trouva le moyen de s’attirer la protection de la reine ; il eut des commandements en chef qui l’ont conduit à être capitaine général.

J’ai parlé de La Roche et du P. Daubenton assez pour n’avoir rien à y ajouter : seulement dirai-je que ce maître jésuite vieillissoit et qu’il commençoit à perdre la mémoire. Je m’en aperçus dans les conversations fréquentes que j’avois avec lui chez moi, ou au collège impérial où il étoit fort bien logé. Mais cette faiblesse de mémoire me fit découvrir plus d’une friponnerie de sa part, par lui-même, sur des affaires où d’abord il m’avoit promis merveilles, et dès le lendemain me venoit conter celles qu’il avoit opérées là-dessus avec le roi, puis quelques jours après me disoit tout le contraire, oubliant ce qu’il m’avoit raconté. C’est que ce qu’il m’avoit dit d’abord étoit une fable, et ce qu’il me rendoit après étoit ce qu’il avoit exécuté. Je n’en fus ni surpris ni n’en fis pas semblant. Je connoissois trop le personnage pour m’y fier en rien, mais je ne fus pas fâché de jouir du défaut de sa mémoire, et de m’amuser à lui en tendre des panneaux.

Mais ce qui m’importuna de lui à l’excès, fut sa jalousie du P. d’Aubrusselle, jésuite françois, demeurant aussi au collège impérial et précepteur des infants. C’étoit un homme