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avec Grimaldo, et sur un pied d’amitié et de confiance. Leurs amis me pressèrent de travailler à les raccommoder, Sartine, Bourck, les ducs de Liria et de Veragua, le prince de Masseran et d’autres. C’étoit une bonne œuvre qui ne pouvoit qu’être bonne au service du roi et utile à tous les deux. J’aurois réussi, si je n’avois eu affaire qu’aux deux maris, mais les deux femmes qui vouloient se manger et périr ou culbuter le secrétaire d’État opposé, se mirent tellement à la traverse que je m’aperçus bientôt que je n’y gagnerois rien que de me mettre peut-être mal avec l’un ou l’autre, tellement que je me retirai doucement de cette entremise, sans y laisser rien du mien.

Quand ils se furent bien aboyés, ils se turent, mais ne se pardonnèrent pas. De ce moment Castellar, à qui sa place devenoit tous les jours plus insupportable, mais qui ne pouvoit la quitter pour demeurer rien, tourna toutes ses vues sur l’ambassade de France, et m’en parla plusieurs fois. Je lui représentai toujours que pour mon particulier, rien ne me pouvoit être plus agréable, mais qu’il prit garde à quitter le réel qu’il tenoit, et qui le pouvoit devenir davantage, et plus agréable par des choses que le temps amenoit, et qu’on ne pouvoit prévoir, ce que j’accompagnois de choses flatteuses sur son mérite, sa capacité, sa réputation, et en tout cela je lui disois vrai, et je l’entretins toujours de la sorte sans entrer en aucun engagement : c’est que je sentois combien cette ambassade seroit désagréable à Grimaldo, que par toute raison j’aimois mieux que l’autre, et que je voyois bien aussi que la correspondance étroite, si désirable entre les deux cours, courroit risque d’être mal servie entre un ambassadeur d’Espagne et le ministre unique d’Espagne, et spécialement des affaires étrangères, aussi ennemis l’un de l’autre -que l’étoient ces deux hommes.

Castellar enfin y réussit, mais longtemps après, et eut entre deux une attaque d’apoplexie qui, d’un homme gai, léger, de la conversation la plus fine, la plus leste, la plus