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de rendre la chose publique pour exciter le cri public. Ce cri devint si grand et si universel qu’il arrêta le prince et le cardinal, et qu’il étourdit jusqu’à l’audace de La Vrillière et de sa femme, et jusqu’à l’impudence de Schaub.

Le public farcit cette ambition de ridicules, et ce ne fut pas ce qui contint le moins M. le duc d’Orléans. La figure de La Vrillière n’étoit pas commune, il étoit un peu gros et singulièrement petit ; il étoit vif, et ses mouvements tenoient de la marionnette. Quoiqu’on ne se fasse pas, et que ces défauts n’influent que sur le corps, ils donnent beau champ au ridicule. M. le prince de Conti alloit disant tout haut qu’il avoit envoyé prendre les mesures du petit fauteuil de polichinelle pour en faire faire un dessus pour La Vrillière quand il seroit duc et pair, et qu’il le viendroit voir. Enfin on en dit de toutes les façons.

Ce vacarme et ces dérisions arrêtèrent pour un temps. M. et Mme de La Vrillière, et Schaub lui-même étoient déconcertés. Ils avoient bien prévu l’extrême danger d’être découverts plus tôt que par là déclaration même. Ce malheur arrivé, ils prirent le parti de laisser ralentir l’orage, de continuer après de presser leur affaire sourdement, et de la faire déclarer quand on ne s’y attendroit plus. Ils y furent encore trompés. Tant de gens considérables avoient intérêt de la traverser, ou de s’en servir pour être élevés au même honneur, qu’ils furent éclairés de trop près. La Vrillière, peut-être informé de ce que j’avois dit à M. le duc d’Orléans, qui rendoit tout au cardinal Dubois, de qui Schaub pouvoit l’avoir su, me vint trouver à Meudon pour me demander en grâce de ne le point traverser auprès de M. le duc d’Orléans ; et, pour tâcher à me tenir de court, m’assura que non seulement il en avoit parole de lui et du cardinal Dubois, mais que l’un et l’autre l’avoient donnée au roi d’Angleterre ; qu’ainsi c’étoit une affaire faite, qui n’attendoit plus qu’une prompte déclaration ; que ce qu’il me demandoit étoit donc moins la crainte de la retarder,