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Cet exorde me conduisit loin, et mit M. le duc d’Orléans aux abois. Il voulut se défendre sur la vive intercession du roi d’Angleterre, et sur la position où il étoit avec lui. Je lui répondis que je ne pouvois présumer qu’il espérât me faire recevoir cette raison comme sérieuse ; qu’il connoissoit très bien Schaub, et que c’étoit lui-même qui m’avoit appris que c’étoit un insigne fripon, un audacieux menteur, plein d’esprit, d’adresse, de souplesses, singulièrement faux et hardi à controuver tout ce qui lui faisoit besoin, et de génie ennemi de la France ; qu’étant tel par le portrait que Son Altesse Royale m’en avoit souvent fait, j’étois fort éloigné de penser que Son Altesse Royale crût sur une si périlleuse parole que le roi d’Angleterre ni ses ministres s’intéressassent à lui faire faire ce qui étoit sans aucun exemple, pour mieux marier la fille d’une maîtresse abandonnée depuis si longtemps, du crédit de laquelle nous n’avions jamais ouï parler pendant huit ans de sa régence, et qu’il avoit été question sans cesse de manier et de s’aider du roi d’Angleterre ; que par conséquent il m’étoit clair qu’il étoit bien persuadé que le roi d’Angleterre ne prenoit pas la moindre part aux imaginations de La Vrillière, ni pas un de ses ministres ; que cet intérêt, présenté par Schaub comme véritable et vif, n’étoit que l’effet de son adresse et de son amour pour Mme de La Vrillière, saisi par Son Altesse Royale pour prétexte et pour excuse de ce qu’il voyoit énorme et sans exemple, à quoi néanmoins il se laissoit entraîner. J’ajoutai que, quand il seroit certain que l’intercession de l’Angleterre seroit vraie et vive, je le suppliois de me dire s’il étoit bon d’accoutumer les grandes puissances étrangères à s’ingérer des grâces et de l’intérieur de la cour ; s’il ne prévoyoit pas quelle tentation il préparoit à la fidélité des ministres du roi et de ses successeurs par l’exemple de La Vrillière ; si lui-même oseroit hasarder de demander au roi d’Angleterre, pour un Anglois ou un Hanovrien, une pareille élévation dans sa cour, et s’il connoissoit aucun exemple semblable