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qui la désiroit avec passion, et de la part de ses ministres qui lui demandoient cette grâce comme le gage de leur amitié, et qu’il avoit le même ordre du roi d’Angleterre d’en parler de sa part à M. le duc d’Orléans. Le cardinal lui accorda toute liberté de le faire, et lui promit d’y préparer M. le duc d’Orléans et d’agir de son mieux auprès de lui pour lever, s’il pouvoit, les difficultés qui se rencontreroient. Pour le faire court, M. le duc d’Orléans trouva la proposition extrêmement ridicule ; mais sans cesser de la trouver telle, il fut entraîné. La Vrillière, en conséquence, parla au cardinal Dubois, et de son aveu à M. le duc d’Orléans. Il en fut assez bien reçu, et si transporté de joie, lui et sa femme, que le secret transpira.

Le duc de Berwick en fut averti des premiers ; il en parla à M. le duc d’Orléans avec toute la force et la dignité possible, et l’embarrassa étrangement. Il me vint trouver aussitôt après à Meudon, où la cour ne vint que quelque temps après, et m’apprit cette belle intrigue ; le clou qu’il avoit taché d’y mettre aussitôt, et m’exhorta à parler, de mon côté, à M. le duc d’Orléans.

Je ne me fis pas beaucoup prier sur une affaire de cette nature, et j’allai dès le lendemain à Versailles chez M. le duc d’Orléans. Il rougit et montra un embarras extrême au premier mot que je lui en dis. Je vis un homme entraîné dans la fange, qui en sentoit toute la puanteur, et qui n’osoit ni s’en montrer barbouillé ni s’en nettoyer, dans la soumission sous laquelle il commençoit secrètement à gémir. Je lui demandai où il avoit vu ou lu faire un duc et pair de robe ou de plume, et donner la plus haute récompense qui fût en la main de nos rois, et le comble de ce à quoi pouvoit et devoit prétendre la plus ancienne et la plus haute noblesse, à un greffier du roi, dont la famille en avoit toujours exercé la profession depuis qu’elle s’étoit fait connoître pour la première fois sous Henri IV, sans avoir jamais porté les armes, qui est l’unique profession de la noblesse.