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pour sauver sa vie et assurer son retour en Europe, consentit, non seulement à n’exécuter aucun des ordres dont il étoit chargé, et dont l’exécution, qu’il vit absolument impossible, faisoit tout l’objet de sa légation, mais encore d’accorder, contre ses ordres exprès, par conséquent sans pouvoir, un décret qui suspendit toute exécution de ceux de Rome, jusqu’à ce que le saint-siège eût été informé de nouveau. De là, les jésuites prirent occasion d’envoyer avec lui à Rome le P. Magalhaens, jésuite portugois, pour faire au pape des représentations nouvelles, en même temps pour être le surveillant du légat depuis Canton jusqu’à Rome. À ces conditions les jésuites permirent au légat d’embarquer avec lui le corps du cardinal de Tournon, et de se sauver ainsi de leurs mains sans avoir passé Canton, et sans y avoir eu, lors même de sa plus grande liberté, qu’une liberté fort veillée et fort contrainte. Il débarqua à Lisbonne où, après être demeuré quelque temps, il arriva en celui-ci à Rome avec le jésuite Magalhaens et le corps du cardinal de Tournon qui fut déposé à la Propagande. Mezzabarba y rendit compte de son voyage, et eut plusieurs longues audiences du pape, où il exposa l’impossibilité qu’il avoit rencontrée à son voyage au delà de Canton, premier port de la Chine à notre égard, et à réduire les jésuites à aucune obéissance. Il expliqua ce que, dans le resserrement où ils l’avoient tenu, il avoit pu apprendre de leur conduite, du sort du cardinal de Tournon, enfin du triste état des missions dans la Chine ; il ajouta le récit de ses souffrances, de ses frayeurs ; et il expliqua comment, en s’opiniâtrant à l’exécution de ses ordres, il n’y auroit rien avancé que de causer l’éclat d’une désobéissance nouvelle, et à soi la perte entière de sa liberté, et vraisemblablement de sa vie, comme il étoit arrivé au cardinal de Tournon ; qu’il n’avoit pu échapper et se procurer son retour pour informer le pape de l’état des choses qu’en achetant cette grâce par la prévarication dont il s’avouoit coupable, mais à laquelle il avoit été forcé par la crainte de