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et m’attaquer sans occasions, c’eût été trop montrer la corde et se gâter auprès de M. le duc d’Orléans, à la façon dont j’étois seul à tant de titres auprès de lui. Le Blanc étoit bien plus incommode. Sa charge, et plus encore les détails de la confiance des affaires secrètes, lui donnoient continuellement des rapports et publics et intimes avec M. le duc d’Orléans. La soumission, la souplesse, les hommages de Le Blanc, ne le rassuroient point. C’étoit un homme agréable et nécessaire à M. le duc d’Orléans, de longue main dans sa privance la plus intime. Il étoit de son choix, de son goût, utile et commode à tout, il l’entendoit à demi-mot, il ne tenoit qu’à lui : c’étoient autant de raisons de le craindre, par conséquent de l’éloigner ; et si, par les racines qui le tenoient ferme, il ne pouvoit l’éloigner qu’en le perdant et l’accablant absolument, il n’y falloit pas balancer. Et pour le dire encore en passant, voilà les premiers ministres !

Celui-ci, uniquement occupé que de son fait et des choses intérieures, étoit instruit de l’ancienne et intime liaison de Le Blanc et de Belle-Ile avec Mme de Plénoeuf, de la haine extrême que se portoient la mère et la fille, que celle de Mme de Prie rejaillissoit en plein sur ces deux tenants de sa mère. Dubois résolut d’en profiter. En attendant que les moyens s’en ouvrissent, il se mit à cultiver M. le Duc. Fort tôt après il sut que le désordre étoit dans les affaires de La Jonchère. C’étoit un trésorier de l’extraordinaire des guerres [1], entièrement dans la confiance de Le Blanc, qui l’avoit poussé et protégé, et qui s’en étoit servi, lui et Belle-Ile, en bien des choses. Je n’ai point démêlé au clair si le cardinal en vouloit aussi à Belle-Ile, ou si ce ne fut que par concomitance avec Le Blanc, par l’implication dans les mêmes affaires et dans la haine de Mme de Prie. Je pencherois à le croire, parce que, ayant plusieurs fois voulu servir

  1. L’extraordinaire des guerres était un fonds réservé pour payer les dépenses extraordinaires de la guerre.