Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/399

Cette page n’a pas encore été corrigée

je fus forcé par M. le [duc] et Mme la duchesse d’Orléans, comme on l’a vu en son lieu, d’entrer en commerce avec Mme de Plénoeuf sur le mariage d’une de leurs filles, que Plénœuf, retiré à Turin, s’étoit mis de lui-même à traiter avec le prince de Piémont. Mme de Prie, parvenue à dominer M. le Duc entièrement, fit par lui la paix de son père, et le fit revenir. Elle l’aimoit assez, et il la ménageoit dans la situation brillante où il la trouvoit ; car ces gens-là, et malheureusement bien d’autres, comptent l’utile pour tout, et l’honneur pour rien. Lui et sa fille avoient grand intérêt à sauver tant de biens. Cet intérêt commun et la situation de M. le Duc, duquel elle disposoit en souveraine, serra de plus en plus l’union du père et de la fille aux dépens de la mère ; mais la fille, non contente de se venger de la sorte des jalousies et des hauteurs de sa mère, qui ne put ployer devant l’amour de M. le Duc, se mit à prendre en aversion les adorateurs de sa mère, et la crainte qu’elle leur donna en fit déserter plusieurs.

Les plus anciens tenants et les plus favorisés étoient Le Blanc et Belle-Ile. C’étoit d’où étoit venue leur union. Tous deux étoient nés pour la fortune ; tous deux en avoient les talents ; tous deux se crurent utiles l’un à l’autre : cela forma entre eux la plus parfaite intimité, dont Mme de Plénoeuf fut toujours le centre. Le Blanc voyoit dans son ami tout ce qui pouvoit le porter au grand, et Belle-Ile sentoit dans la place qu’occupoit Le Blanc de quoi l’y conduire, tellement que, l’un pour s’étayer, l’autre pour se pousser, marchèrent toujours dans le plus grand concert sous la direction de la divinité qu’ils adoroient sans jalousie. Il n’en fallut pas davantage pour les rendre l’objet de la haine de Mme de Prie. Elle ne put les détacher de sa mère, elle résolut de les perdre. La tentative paraissoit bien hardie contre deux hommes aussi habiles, dont l’un, secrétaire d’État depuis longtemps, étoit depuis longtemps à toutes mains de M. le duc d’Orléans, et employé seul dans toutes