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premier ministre, pour transférer la couronne dans sa maison, et qui n’eut d’autre objet pour la guerre et pour cette paix funeste par laquelle il fit rendre plus de quarante places et de vastes pays à l’Espagne, qu’elle n’eût pas repris en un siècle, et qu’il se dévoua par un si perfide service, dont la mort du duc de Guise son frère, tué par Poltrot, l’empêcha de voir le succès et l’accabla de la plus profonde douleur à Trente, où, à l’acclamation de la clôture du concile, il acclama tous les rois en nom collectif pour éviter, contre la coutume constante jusqu’alors, de nommer le roi de France le premier, puis tous les autres après, et gratifier l’Espagne en un point si sensible, depuis que Philippe II avoit osé le premier entrer en compétence si boiteusement fondée sur la préséance de l’empereur Charles-Quint, parce qu’il étoit aussi roi d’Espagne : ce dont le cardinal de Lorraine, premier ministre, jeta de si solides fondements, dont l’effet ne fut suspendu que par la mort de son frère ; le fils de ce frère si jeune alors, et depuis tué à Blois au moment qu’il alloit enlever la couronne à Henri III, à force de troubles, de partis, de guerre et de désordres, sut trop bien en profiter, et le duc de Mayenne, son oncle, après lui, en sorte que ce ne fut pas sans des miracles redoublés, et sans des merveilles, qui, en tout genre, ont illustré Henri IV et la noblesse française, que ce prince, après tant de hasards, de détresses, de victoires, rassura la couronne sur sa tête et dans sa postérité, mais dont la fin ne le rendit pas moins la victime de l’esprit encore fumant de la Ligue abattue, comme Henri III l’avoit été de sa force et de sa fureur.

Vint après le foible et funeste gouvernement de la reine sa veuve, ou plutôt du maréchal d’Ancre, sous son nom, dont la catastrophe rendit la paix au royaume. Mais Louis XIII étoit si jeune, et, par une détestable politique, si enfermé, si étrangement élevé qu’il ne savoit pas lire encore, et qu’il ignoroit tout, comme il s’en est souvent plaint à mon père, à quoi suppléa un sublime naturel, une piété sincère, une