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que je le suppliois de se bien représenter deux choses la première, que pour le soulagement des affaires et la liberté d’aller, tant qu’il voudroit, chercher l’Opéra et ses soupers à Paris, il pouvoit en jouir tant que bon lui sembleroit, parce que, le cardinal jouissoit si pleinement et si ouvertement de la toute-puissance, et que tout le monde le voyoit et le sentoit si pleinement, qu’il n’y avoit plus qui que ce fût, François ou ministres étrangers, qui osât se jouer à aller directement à Son Altesse Royale, et qui ne fût bien convaincu, qu’affaire, justice ou grâces ne dépendit uniquement du cardinal, n’allât à lui, ne se tînt pour battu s’il le trouvoit contraire, sans oser tenter d’aller plus haut, demeuroit sûr de ce qu’il demandoit s’il trouvoit le cardinal favorable, et le plus souvent s’en tenoit là, sans que lui régent en entendît parler, ou que les gens ne venoient à lui que pour la forme, et lors seulement que le cardinal le leur prescrivoit, ce qu’il leur ordonnoit aussi quelquefois dans des cas de refus, dans l’espérance de leur faire prendre le change et de se décharger du refus sur lui ; que je m’étonnois qu’il fût encore à s’apercevoir d’une chose si évidente qu’elle n’étoit ignorée de personne ; et que moi-même, depuis mon retour d’Espagne, si j’avois à demander la moindre chose, et la plus facile et la plus raisonnable, pour moi ou pour quelque autre à Son Altesse Royale, je me garderois bien de lui en parler sans m’être assuré du cardinal auparavant, et me tiendrois très sûr du refus si j’allois droit à elle sans l’attache du cardinal, et au contraire, avec certitude morale de sa volonté que j’obtiendrois ce que je lui aurois présenté à demander. Que les choses étant à ce point d’autorité, et d’autorité affichée, je ne voyois nul accroissement possible à l’exercice actuel qu’il en faisoit publiquement, par la déclaration ni par les patentes de premier ministre, ni plus de soulagement et de liberté que Son Altesse Royale en pouvoit prendre dès à présent sans cela ; mais que j’y apercevois pour le cardinal Dubois une différence à