Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/361

Cette page n’a pas encore été corrigée

retenoit le cardinal en des mesures qu’il ne gardoit que pour moi, et qui me forçoient d’en conserver avec lui.

Dans cette situation personnelle, parmi tout ce mouvement, le cardinal me détacha Belle-Ile pour me tourner sur la déclaration de premier ministre, et tâcher non seulement de ranger tout obstacle de mon côté, mais de n’oublier rien pour me rendre capable de l’y servir. Cet entremetteur s’y prit avec tous les tours et toute l’adresse possibles. Il me représenta que, par tout ce que nous voyions, il ne s’agissoit que du plus tôt ou du plus tard ; que ne m’y pas prêter de bonne grâce n’empêcheroit pas à la fin que le cardinal ne l’emportât, et m’exposeroit à toute sa haine, dont je voyois tous les jours la violence, la suite, la durée, le pouvoir ; au lieu qu’en le servant en chose qui étoit le but de ses plus ardents désirs, et chose que tôt ou tard il n’étoit en ma puissance ni en celle de qui que ce fût de pouvoir empêcher, je devois être assuré d’une reconnoissance proportionnée, qui me feroit partager et les affaires et l’autorité de ce maître du régent et du royaume. Je répondis à Belle-Ile qu’il pouvoit bien juger que je ne pouvois penser qu’il me vint faire une telle proposition de lui-même, et il m’avoua sans peine que le cardinal l’avoit chargé de me la faire, et qu’il ne lui avoit pas même défendu de me le dire.

C’étoit pour m’embarrasser que le cardinal s’y prit de la sorte, en me réduisant de la sorte à répondre comme si c’eût été à lui-même. Je dis donc à Belle-Ile de remercier le cardinal de cette confiance, que j’accompagnai de force compliments ; que la chose étoit de telle importance qu’elle valoit bien la peine de se donner le temps d’y penser ; qu’en attendant, je lui dirois ce qui me venoit dans l’esprit : qu’il me paraissoit que le cardinal possédoit tous les avantages d’un premier ministre, déclaré tel par les plus expresses patentes ; que de se les faire expédier ne lui acquerroit rien de plus du côté du pouvoir, de l’autorité, des pleines et entières fonctions, mais que le titre, joint à l’effet et à la substance