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gagné par toutes les grâces, les marques de confiance, même de déférence, enfin par une chaîne non interrompue des traitements les plus distingués, levoit maintenant le masque, et ne se proposoit rien moins que faire publiquement autel contre autel : que c’étoit là mon avis, puisque Son Altesse Royale le vouloit savoir sans me donner le temps d’y réfléchir avec plus de sang-froid ; mais que pour l’exécution, quelque pressée qu’elle pût être, il falloit penser mûrement à s’y prendre de manière qu’on n’en pût avoir le démenti ni dans le temps même, ni dans la suite.

Pendant que je parlois, le cardinal, les oreilles dressées et les yeux en dessous tournés sur moi, suçoit toutes mes paroles, et changeoit de couleur à mesure, comme un homme qui entendroit prononcer son arrêt. Mon avis exposé entier l’épanouit autant que la rage dont il écumoit le lui put permettre. M. le duc d’Orléans approuva ce que je venois de dire ; le cardinal, me jetant un coup d’œil comme de remerciement, dit à M. le duc d’Orléans qu’enfin il étoit le maître de choisir ; qu’il voyoit bien qu’il ne pouvoit rester le maréchal de Villeroy demeurant, et que Son Altesse Royale prenant même la résolution de l’ôter, il falloit se hâter, parce que les choses ne pouvoient subsister en la situation où elles étoient. Enfin il fut conclu qu’on prendroit le reste de la journée, et il étoit environ midi, et la matinée suivante pour y penser, et que je me trouverois le lendemain à trois heures après midi chez M. le duc d’Orléans.

Arrivé le lendemain chez ce prince, je le trouvai avec le cardinal Dubois. M. le Duc y entra un moment après, qui étoit instruit de l’aventure. Le cardinal Dubois ne laissa pas de lui en faire un récit abrégé qu’il chargea un peu de commentaires et de réflexions. Il étoit plus à lui que la veille par le temps qu’il avoit eu de se remettre et l’espérance de se voir défait dans peu du maréchal de Villeroy. J’y appris toutes les vanteries qu’il avoit publiées de la prise,