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que les ministres étrangers n’y étoient introduits [que] l’un après l’autre, suivant qu’ils étoient arrivés dans la pièce d’attente, pour éviter toute compétence [1] de rang entre eux. Ainsi Bissy et Villeroy trouvèrent Dubois enfermé avec le ministre de Russie. On voulut avertir le cardinal de quelque chose d’aussi nouveau que le maréchal de Villeroy chez lui, mais il ne le voulut pas permettre, et s’assit avec Bissy sur un canapé en attendant.

L’audience finie, Dubois sortit de son cabinet pour conduire l’ambassadeur, et aussitôt avisa ce canapé si bien garni. Il ne vit plus que lui à l’instant ; il y courut, rendit mille hommages publics au maréchal, avec force plaintes d’être prévenu, lorsqu’il n’attendoit que sa permission pour aller chez lui, et pria Bissy et lui de passer dans son cabinet. Tandis qu’ils y allèrent, il en fit excuse aux ambassadeurs sur ce que les fonctions et l’assiduité du maréchal de Villeroy auprès du roi ne lui permettoient pas de s’absenter pour longtemps d’auprès de sa personne ; et, avec ce compliment, les quitta et rentra dans son cabinet. D’abord, force compliments réciproques et propos du cardinal de Bissy convenables au sujet. De là protestations du cardinal Dubois et réponses du maréchal ; mais à force de réponses, il s’empêtra dans le musical de ses phrases, bientôt se piqua de franchise et de dire des vérités, puis, peu à peu, s’échauffant dans son harnois, des vérités dures et qui sentoient l’injure. Dubois, bien étonné, ne fit pas semblant de sentir la force de ces propos ; mais comme elle s’augmentoit de moment à autre, Bissy, avec raison, voulut mettre le holà, interrompre, expliquer en bien les choses, persuader le maréchal quelle étoit son intention. Mais la marée qui montoit toujours tourna tout à fait la tête au maréchal, et le voilà aux injures et aux plus sanglants reproches. En vain Bissy le voulut faire taire, lui représenter de combien il s’écartoit

  1. Rivalité.