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l’exiler plutôt que les autres ; qu’il s’étoit contenté jusqu’alors de l’exil du chancelier, qui étoit bien assez éclatant, et dont, à maints égards, il auroit bien pu se passer ; qu’y revenir sur d’autres sans cause nouvelle et connue, c’étoit montrer un bâton levé sur les maréchaux de Villars, d’Estrées, Tallard, Huxelles, même sur le maréchal de Villeroy, qui étoient en personnages les principaux de ceux qui étoient sortis du conseil, et qu’on lui donnoit avec le duc de Noailles pour les prétendus chefs de la prétendue cabale ; que d’effaroucher tant de gens considérables, considérés et si grandement établis, je n’en voyois que du mal à attendre, et aucun bien à espérer ; et qu’à l’égard du duc de Noailles, il étoit, à mon avis, de ceux qu’il ne falloit jamais bistourner [1] pour quelque cause que ce pût être, mais le laisser entier ou l’écraser à forfait ; qu’écraser un homme, lui, et tous les siens, si grandement établi, et qui avoit eu si longtemps sa confiance et toutes les finances entre les mains, je n’y voyois ni justice ni possibilité, sans crime qui pût être clairement démontré, et tel que ce fût grâce que de ne pas [le] faire traiter juridiquement par les formes ; qu’un exilé, surtout de sa sorte, ne pourrissoit pas exilé ; qu’on touchoit à la majorité ; que, de retour, sa charge de capitaine des gardes l’approcheroit nécessairement du roi ; qu’il n’oublieroit ni fadeurs, ni bassesses, ni fertilité d’esprit pour se l’apprivoiser, se familiariser, se rendre agréable, se donner un crédit immédiat, se rallier les mécontents de la régence, qui approcheroient le roi par leurs emplois ou par leur industrie ; et qu’alors Son Altesse Royale auroit tout lieu de se repentir de s’être fait inutilement un ennemi du duc de Noailles, et de l’avoir laissé en état et en moyens de s’en ressentir. J’ajoutai que, quand je m’opposois à l’exil du duc de Noailles, ma voix en valoit bien une douzaine d’autres dans la situation publique où j’étois avec lui.

  1. Mutiler, châtrer.