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Je ne fis que changer de voiture au logis, et j’allai au Palais-Royal, droit chez le cardinal Dubois. Il accourut au-devant de moi. Ce fut des merveilles ; et sans rentrer ni s’arrêter, il me conduisit chez M. le duc d’Orléans, dont la réception fut aussi bonne et plus sincère. Il étoit dans son petit cabinet au bout de sa petite galerie. Nous nous assîmes, moi vis-à-vis de lui, son bureau entre deux, et le cardinal au bout du bureau. Je leur rendis compte de bien des choses, et je répondis à bien des questions. Ensuite je parlai à M. le duc d’Orléans de la conduite de la princesse des Asturies avec Leurs Majestés Catholiques, de leur patience et de leurs bontés pour elle ; et après ce sérieux je le divertis de mon audience de congé chez elle, dont il rit beaucoup. Ensuite il me parla de la sortie du conseil, glissant avec des patins sur la préséance ; et le cardinal se mit sur la cabale, sans toutefois enfoncer matière, et dit que Son Altesse Royale n’avoit pu moins faire que de chasser le chancelier. Je laissai tout conter ; puis je leur dis que je ne pouvois qu’apprendre, ne m’étant pas lors trouvé ici et n’ayant encore vu personne, sinon que je trouvois tout cela bien fâcheux. Et tout de suite, me tournant tout à fait à M. le duc d’Orléans et m’adressant à lui, j’ajoutai que, puisque le chancelier n’étoit à Fresnes que pour la même chose que j’aurois faite si j’avois été ici, j’espérois bien que Son Altesse Royale trouveroit bon que j’y allasse le voir incessamment. Cette parole fit comme deux termes du régent, qui baissa les yeux, et du cardinal, qui égara les siens, rougissant de colère. Je crois bien qu’ils n’avoient pas espéré me persuader de rentrer au conseil ; mais l’étonnement et le dépit d’une adhésion si nette et si peu attirée à la sortie du conseil, et la liberté avec laquelle je causois [1] mon empressement pour le chancelier déconcerta le régent comme un particulier, et le tout-puissant ministre comme un courtisan. Je me repus

  1. J’indiquais la cause.