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trouvai une fois seule, elle ne savoit pas un mot de françois ni moi d’espagnol, de manière que nous nous parlâmes toujours sans nous entendre que par les gestes ; elle en sourioit parfois et moi aussi. J’abrégeai fort cette visite.

J’ai parlé ailleurs de la princesse de Robecque, de la duchesse de Saint-Pierre, et de la princesse de Pettorano. La comtesse de Taboada n’étoit point laide, et ne manquoit pas d’esprit ni de vivacité ; j’ai parlé de son mari et de son beau-père le comte de Maceda, grand d’Espagne.

Parmi les señoras de honor, il y en avoit plusieurs qui avoient de l’esprit et du mérite. La femme de Sartine, qui avoit été camériste et bien avec la reine, la devint à la fin. Mme de Nievès, très bien avec la reine, étoit gouvernante de l’infante, et vint et demeura à Paris avec elle, et s’en retourna aussi avec elle. On lui trouva, en ce pays, de l’esprit, du sens et de la raison ; je ne sais si cela fut réciproque. Mme de Riscaldalègre étoit une femme bien faite, qui avoit beaucoup de mérite, qui étoit, considérée, et qui auroit été fort propre à bien élever une princesse. Mme d’Albiville étoit une Irlandaise âgée, qui méritoit aussi sa considération. Le mérite de Mme de Cucurani étoit d’être fille de l’assafeta, qui étoit Parmesane, nourrice de la reine, et qui toute grossière paysanne qu’elle étoit née et qu’elle étoit encore, conservoit un grand ascendant sur la reine, étoit la seule qui, par l’économie des journées, pouvoit chaque jour lui dire quelque mot tête à tête, et qui avoit assez d’esprit pour avoir des vues, et les savoir conduire.. Enfin ce fut elle qui fit chasser le cardinal Albéroni, dont on ne seroit jamais venu à bout sans elle. Comme elle étoit extraordinairement intéressée, il y avoit des moyens sûrs de s’en servir. D’ailleurs elle n’étoit point méchante. Pour son mari, ce n’étoit qu’un paysan enrichi, dont on ne pouvoit rien faire, et qui n’étoit souffert que par l’appui de sa femme. Mais celle-ci étoit redoutée et ménagée par les ministres et par toute la cour.