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J’arrivai le 13 avril à Loches sur les cinq heures du soir. J’y couchai parce que j’y voulus écrire un volume de détails à la duchesse de Beauvilliers, qui étoit à six lieues de là, dans une de ses terres, que je lui envoyai par un exprès ; et je pus de la sorte lui écrire à découvert sans rien craindre de l’ouverture des lettres. J’arrivai d’assez bonne heure le lendemain 14 à Étampes, où je couchai, et le 15, à dix heures du matin, à Chastres [1], où Mme de Saint-Simon devoit venir dîner et coucher, au-devant de moi, pour jouir du plaisir de nous recevoir, de nous retrouver ensemble, de nous mettre réciproquement au fait de tout, en solitude et en liberté, ce qui ne se pouvoit espérer à Paris dans ces premiers jours de mon retour. Le duc d’Humières et Louville vinrent avec elle. Elle arriva une heure après moi dans le petit château du marquis d’Arpajon, qu’il lui avoit prêté, où la journée nous parut bien courte et la matinée du lendemain 16 avril.

Comme nous causions, sur les dix heures du matin, arriva Belle-Ile. Après les amitiés et les compliments, il me pria qu’il pût m’entretenir en particulier. Après de nouveaux compliments, des louanges de ma conduite en Espagne et de mes lettres, et une courte peinture de la situation de la cour, se taisant sur la préséance et glissant sur la cabale, il me peignit le duc de Noailles comme l’homme le plus dangereux, et le plus ennemi de M. le duc d’Orléans et de son gouvernement, et n’oublia pas d’animer ma haine autant qu’il lui fut possible, et de me présenter tout l’intérêt que j’avois de saisir l’occasion de le perdre sans ressource, qui s’offroit d’elle-même à moi, et pour laquelle j’étois attendu avec tant d’impatience.

Après ce vif préambule, il me dit merveilles du cardinal

  1. Chastres, ou Châtres, aux environs d’Étampes (Seine-et-Oise), porte aujourd’hui le nom d’Arpajon. On a changé ce nom en celui de Chartres dans les anciennes éditions. L’itinéraire de Saint-Simon se rendant d’Étampes à Paris suffirait pour prouver qu’il ne faut pas lire Chartres.