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une prière, qui alloit à la défense, de m’arrêter nulle part, même de faire le très petit détour de passer à Blaye, parce que les choses du monde les plus pressées et les plus importantes m’attendoient, qui ne pouvoient se faire sans moi. Cette lettre si singulière étoit accompagnée d’une autre de Belle-Ile, qui en faisoit le commentaire. Il me répétoit les mêmes choses, me disoit que le cardinal Dubois étoit charmé de la réponse que j’avois faite aux dépêches que j’avois reçues par Bannière ; qu’il m’écrivoit par son ordre exprès pour me conjurer d’arriver avec toute la diligence possible, et que je ne pouvois me rendre assez tôt pour l’importance des choses que le régent et le cardinal avoient à me communiquer, et sur lesquelles, toutes pressées qu’elles fussent, il ne se pouvoit rien faire sans moi. Il ajoutoit qu’il étoit chargé de m’assurer qu’il ne me seroit rien proposé qui pût m’être désagréable ou m’embarrasser, rien surtout qui pût en aucune sorte intéresser ma dignité de duc et pair, sur [ce] qu’ils étoient bien persuadés qu’il n’y avoit rien à espérer de moi là-dessus. Rien de plus pressant enfin ni de plus flatteur. Il finissoit enfin en me conjurant de ne m’arrêter pas un instant et de ne passer point à Blaye.

Un si grand changement de style et tant de merveilles à l’instant de mon départ, malgré tant de fortes insinuations, et quelque chose même de plus, d’y demeurer encore sous les prétextes qu’on a vus, me parut fort suspect d’une part si peu sûre, car il étoit visible que le cardinal avoit pour ainsi dire dicté, au moins vu et corrigé, la lettre de Belle-Ile, comme il avoit fait celle que Bannière m’avoit apportée : on verra bientôt que je ne me trompois pas. Je leur mandai par une réponse courte à chacun le jour que j’avois supputé pouvoir arriver ; que j’étois fatigué du voyage à tour de roue jusqu’à Bayonne ; que cette raison de m’y reposer et celle des jours saints m’y retiendroient jusqu’au lundi de Pâques ; enfin que je n’avois pu refuser au duc de Berwick de prendre les petites landes pour l’aller trouver, où il venoit