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La supérieure me fit un compliment en assez bon françois, et me pria de m’asseoir dans un fauteuil qu’on avoit mis derrière moi. Elles s’assirent toutes sur de petites chaises de paille. Après quelques courts propos sur mon voyage, on peut juger qu’il ne fut plus mention que de leur sainte, déjà béatifiée, mais depuis peu. Elles m’en firent apporter des choses de dévotion, un petit Jésus de cire, quelques livres, quelques chapelets, dont elles me donnèrent quelques-uns. J’admirai tout ce qu’elles me voulurent conter, mais j’abrégeai poliment la conversation plus qu’elles n’auroient voulu, et je m’en allai trouver mon dîner, peu satisfoit de ma curiosité.

J’avois pris ma route par Pampelune. Le gouverneur vint aussitôt où j’étois logé, et voulut me mener chez lui et me donner à souper et à ceux qui étoient avec moi. Après force longs compliments, j’obtins de demeurer où j’étois, à condition que nous irions souper chez lui. La chère ne se fit point attendre, fut grande, à l’espagnole, mauvaise ; des manières nobles, polies, aisées. Il nous fit fête d’un plat merveilleux. C’étoit un grand bassin plein de tripes de morue fricassées à l’huile. Cela ne valoit rien, et l’huile méchante. J’en mangeai, par civilité, tant que je pus. En me retirant je lui demandai la permission de voir la citadelle, où on ne laisse entrer aucun étranger. J’y fus avec ce qui étoit avec moi le lendemain matin. Je visitai tout à mon aise, et je la trouvai fort belle, bien entretenue, ainsi que la garnison, qui me reçut sous les armes, au bruit du canon, et tout en fort bel et bon ordre. Nous allâmes de là voir et remercier le gouverneur, qui peu après revint chez moi nous voir partir.

À peu de distance, nous primes des mules pour passer les Pyrénées. Le chemin est par là plus court et un peu moins rude que par Vittoria. Mais il étoit devenu fort mauvais, parce que les Espagnols, qui l’avoient fort aplani pour y pouvoir mener aisément de l’artillerie depuis qu’ils avoient