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quelque ridicule que cela soit. Arrivé avec tout ce qui étoit avec moi, à l’audience de la princesse des Asturies, qui étoit sous un dais, debout, les dames d’un côté, les grands de l’autre, je fis mes trois révérences puis mon compliment. Je me tus ensuite, mais vainement, car elle ne me répondit pas un seul mot. Après quelques moments de silence, je voulus lui fournir de quoi répondre, et je lui demandai ses ordres pour le roi, pour l’infante et pour Madame, M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans. Elle me regarda et me lâcha un rot à faire retentir la chambre. Ma surprise fut telle que je demeurai confondu. Un second partit aussi bruyant que le premier. J’en perdis contenance et tout moyen de m’empêcher de rire ; et jetant les yeux à droite et à gauche, je les vis tous, leurs mains sur leur bouche, et leurs épaules qui alloient. Enfin un troisième, plus fort encore que les deux premiers, mit tous les assistants en désarroi et moi en fuite avec tout ce qui m’accompagnoit, avec des éclats de rire d’autant plus grands qu’ils forcèrent les barrières que chacun avoit tâché d’y mettre. Toute la gravité espagnole fut déconcertée, tout fut dérangé ; nulle révérence, chacun pâmant de rire se sauva comme il put, sans que la princesse en perdît son sérieux, qui ne s’expliqua point avec moi d’autre façon. On s’arrêta dans la pièce suivante pour rire tout à son aise, et s’étonner après plus librement.

Le roi et la reine ne tardèrent pas à être informés du succès de cette audience, et m’en parlèrent l’après-dînée au Mail. Ils en rirent les premiers pour en laisser la liberté aux autres, qui la prirent fort largement sans s’en faire prier. Je reçus et je rendis des visites sans nombre ; et comme on se flatte aisément, je crus pouvoir me flatter que j’étois regretté. Je comptois partir le 23, mais les bulles de dispense étant arrivées depuis quelques jours à Maulevrier pour l’ordre de la Toison d’or, et la cérémonie de sa réception étant fixée à ce même jour, je crus devoir déférer à ses