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parti sur cette lettre de n’en point attendre d’autres, et, dès le lendemain que je l’eus reçue, je pris jour pour mon audience de congé.

Depuis que je parlois de partir, il n’y avoit rien que la reine et même le roi ne fissent pour me retenir, ni amitiés et regrets que toute leur cour ne me fît la grâce de me témoigner. J’avouerai même que ce ne fut pas sans peine que je quittai un pays où je n’avois trouvé que des fleurs et des fruits, et auquel je tenois et je tiendrai toujours par l’estime et la reconnoissance. Je pressai une infinité de visites pour mes adieux, afin de ne manquer à personne. Dans celle que je fis au duc et à la duchesse d’Arcos, desquels j’avois reçu les politesses les plus marquées, et que je voyois assez souvent, le duc d’Arcos me conjura de ne rentrer point au conseil de régence et de ne céder point aux cardinaux. Je le suppliai de n’avoir pas assez mauvaise opinion de moi pour en être en peine, et qu’il pouvoit être sûr que je ne mollirois pas là-dessus. Quelque rang que les cardinaux eussent peu à peu usurpé en Espagne, on ne l’y supportoit qu’avec dépit ; et depuis que l’affaire du conseil de régence fut devenue publique, je ne vis, ni grands surtout, ni même gens de qualité qui n’en fussent indignés, et qui ne s’en expliquassent très fortement, nonobstant le silence et l’entière réserve que je m’étois imposée là-dessus.

Mais à propos de cardinaux et de tout leur grand rang en Espagne, que j’y laissai plus supposé qu’usité, je ne dois pas oublier de rapporter une curiosité que j’eus sur eux. Le cardinal Borgia étoit, comme je l’ai dit, chanoine de Tolède. Il prit le temps du voyage de Balsaïm pour y aller passer quelques jours. La singularité d’y avoir vu deux évêques portant les marques de leur dignité, confondus avec les chanoines sans la moindre distinction d’avec eux, m’inspira le désir d’être précisément informé de ce qui s’y passeroit avec un cardinal. Je priai donc Pecquet d’aller à Tolède le même jour que je me rendis à Balsaïm, d’y demeurer autant